Ce vendredi, j'ai fait une visite guidée avec Delphine Lanvin, guide professionnelle, grâce à une inscription auprès de l'Université Permanente.
Le rendez-vous était donné au "métro La Fourche" dans le 17ème arrondissement. Cet arrondissement est divisé en quatre quartiers : Ternes, Plaine de Monceau, Batignolles et Epinettes. La fourche en question recouvre le quartier des Epinettes : celle-ci est formée d'une part par l'avenue de Clichy (qui conduit à Asnières) et d'autre part par l'avenue de Saint-Ouen (permettant l'accès à Saint-Denis).
Notre guide, qui possède une documentation très fournie, nous parle d'abord de l'origine supposée du nom du quartier des Epinettes que nous allons arpenter de long en large : il pourrait venir d'un lieu-dit créé en 1693. L'origine devait être un terme de viticulture car l'épinette blanche est un cépage, aujourd'hui appelé pineau blanc, qui, comme à Montmartre, y était peut-être cultivé.
Les Épinettes ont longtemps été un hameau, partie intégrante du village des Batignolles : autrefois on y pratiquait l'agriculture et la chasse. Le quartier ne se construit fortement qu’à partir des années 1850.
Notre guide nous emmène d'abord dans un havre de paix, la Cour Saint-Pierre, une petite impasse pavée donnant dans l'avenue de Clichy, bordée de petits immeubles abritant habitations et ateliers d'artistes.
La nouvelle population qui y habite a bien transformé l'ancien terrain voué à l'agriculture maraîchère. Ici se trouve l'atelier "Terre de Sienne" où l'on peut apporter ses productions pour les faire cuire dans un four.
Nous prenons ensuite la direction de la Villa des Arts dont la proximité est annoncée par ce mur-peint situé au 2 rue Etienne Jodelle.
Voici l'entrée de la Villa construite en 1890 par Henri Cambon.
Joli ce petit hôtel particulier !
Eiffel, fort en vue en cette année d’exposition universelle (1889), a laissé son empreinte dans les coursives de l'un des bâtiments situés dans la cour intérieure : un escalier monumental en décore magnifiquement le hall d'entrée.
Depuis cent trente ans, cette villa est fréquentée par des artistes.
Paul Signac y peignit le portrait de Félix Fénéon, célèbre personnalité du monde culturel progressiste du Paris de la fin du XIXème siècle.
Eugène Carrière y a peint le portrait de Verlaine.
Une plaque, dans la cour, rend hommage à Nicolas Schöffer, le père de l'Art Cybernétique.
La tour cybernétique de Liège a été remise en fonction en mai 2016.
A l'intérieur de la cour, subsistent encore 47 ateliers d'artistes et 36 logements sociaux.
Delphine Lanvin nous fait remarquer le mur du cimetière de Montmartre tout proche.
Y sont enterrés, parmi des inconnus, des célébrités comme : André-Marie Ampère, Michel Berger et France Gall, Hector Berlioz, Lili et Nadia Boulanger, Jean-Baptiste Charcot, Henri-Georges Clouzot, Dalida, Edgar Degas, Alexandre Dumas fils, Pierre Dux, Jean-Marie Farina, Jean-Honoré Fragonard, Alain Feydeau, Michel Galabru, Théophile Gauthier, Sacha Guitry, Eugène Labiche, Jeanne Moreau, Francis Picabia, Juliette Récamier, Siné, Sthendal, Ludmila Tchérina, François Truffaut, Pierre-Jean Vaillard, Alfred de Vigny, Emile Zola...
Ayant rejoint l'avenue de Saint-Ouen, nous voici passant devant la Cité Pilleux..., un autre havre de verdure et de paix.
Au numéro 25 de l'avenue de Saint-Ouen se trouve l'entrée du Hameau des Batignolles. Nous avons eu la chance de pouvoir y entrer...
A part les cris des enfants de l'école voisine, ici nul bruit de voitures...
Les habitants ont décoré la cour avec des arbustes en pots.
Voici l'église Saint-Michel des Batignolles : on l'aperçoit ici depuis l'avenue de Saint-Ouen. La première pierre en est posée en novembre 1913 mais la première guerre interrompt le chantier...
Ce n'est qu'en 1932 que l'érection du campanile reprend.
Au sommet du clocher de briques, une statue dorée de Saint-Michel (Photo Wikipédia)
En s'approchant de plus près, on voit que l'intérêt de sa construction se situe réellement dans le travail de la brique ou plutôt des briques car plusieurs tons ont été choisis pour rompre la monotonie. L'architecte, n'ayant en effet pas bénéficié d'un gros budget pour réaliser son édifice, a choisi un matériau bon marché : on peut compter jusqu'à six couleurs de briques différentes, pour créer des formes, des motifs, des reliefs...
Détail du décor du portail central (Photo architecture-art-déco.fr)
J'ai raté toutes mes photos d'intérieur (pas assez de temps pour régler l'appareil...). Voici celles trouvées sur le site architecture-art-deco.fr.
L'intérieur est assez sombre.
Dans le choeur, une peinture représentant Jésus entouré de ses disciples
L'orgue provenant de l'Hôtel Majestic a été mis à sa place en 1937 à la suite d'une souscription.
La chaire est en bois blond, harmonieusement travaillée.
Sur le côté de l'église, un Saint-Michel terrassant le dragon
La guide nous explique qu'on reconnaît facilement les immeubles bâtis avant 1830 à leurs façades plâtrées et à leurs volets en bois, comme ici à gauche de la photo. A droite, les autres immeubles possèdent des persiennes : ils sont donc postérieurs.
Les immeubles des années 1830 possèdent aussi tous des porches d'entrée munis de grilles comme ci-dessous.
La guide nous fait remarquer ce nouveau magasin "Bio" de l'avenue de Clichy, signe que le quartier, autrefois très populaire, est en train de se boboïser...
Nous passons devant le Mawal, une discothèque orientale qui a remplacé l'ancien cinéma "Gloria Palace" construit en 1930, devenu obsolète avec sa salle unique.
Les temps changent mon bon monsieur...
Au N°17 de la rue Lacroix mon œil a été attiré par ce bel immeuble sur lequel la guide ne s'est pas arrêtée. L'utilisation de la brique en parement m'a bien plu mais j'ai surtout remarqué les médaillons situés dans les étages élevés.
J'en ai photographié un à la va-vite et par hasard il s'agit de la bobine de l'architecte de l'immeuble, un certain Joseph-Louis Duc, inconnu de moi... mais qui a tout de même été l'architecte de la "colonne de juillet", autrement dit la colonne de la place de la Bastille...
Delphine Lanvin s'arrête ensuite au numéro 37 devant l'immeuble qu'habita Adolphe-Léon Willette, peintre, illustrateur, affichiste, lithographe et caricaturiste célèbre (il réalisa l'enseigne du cabaret "Le chat noir").
Au numéro 40 de la même rue, un immeuble d'avant 1830 dont une partie des fenêtres a été murée pour construire des salles-de-bains, inexistantes lors de la construction...
Nous voici maintenant dans la rue Guy Môquet qui porte le nom de ce jeune militant communiste resté tristement dans les mémoires pour avoir été le plus jeune (seulement 17 ans) des quarante-huit otages fusillés pendant la dernière guerre suite à l'attentat contre Karl Hotz.
La veille de son exécution, il écrivit une lettre à ses parents...
Lettre de Guy Môquet à sa famille, Camp de Choisel, Châteaubriant, 22 octobre 1941
Châteaubriant, Le 22 octobre 1941
Ma petite maman chérie
Mon tout petit frère adoré
Mon petit papa aimé
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, à toi en particulier petite maman, c'est d'être très courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre, mais ce que je souhaite de tout mon coeur, c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean. J'ai embrassé mes deux frères Roger et René. Quant à mon véritable, je ne peux le faire, hélas ! J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge qui, je l'escompte, sera fier de les porter un jour.À toi, petit Papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman bien des peines, je te salue pour la dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup, qu'il étudie, qu'il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michel. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux pas en mettre davantage, je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon coeur d'enfant. Courage !
Votre Guy qui vous aime
Guy
Nous nous rendons ensuite, tout à côté, dans la Villa Compoint où se trouve une librairie dénommée "Résistances". Dommage, elle était fermée ce matin là.
Un peu plus loin dans la rue, au numéro 9, se trouve un immeuble où habita Hô Chi Mihn quand il résidait à Paris (de 1921 à 1923). Pour rappel, il a été le fondateur de l'actuel Parti Communiste vietnamien et de la République démocratique du Viêt Nam.
Une plaque en commémore l'événement.
Nous empruntons ensuite la rue des moines qui tire probablement son nom des moines de Saint-Denis, par opposition à la rue des Dames de l'abbaye de Montmartre, qui en est voisine.
Des hôtels, en veux-tu en voilà...
Nous voici arrivés à la Cité des fleurs, une impasse privée au règlement de copropriété strict (elle est interdite aux chiens) et qui ferme à la nuit tombée.
Elle relie l'Avenue de Clichy à la rue de la Jonquière. Le cahier des charges impliquait, dès sa création, l’alignement des façades, la limitation du nombre d’étages ou encore la hauteur des murs mitoyens, l'obligation pour les propriétaires de planter 3 arbres dans le petit jardin situé devant la maison et de mettre à l'entrée de leur clôture des vases Médicis.
Les vases Médicis
La cité des Fleurs a toujours été un lieu de mixité sociale. Au XIXème siècle, elle était très influencée par l'activité ferroviaire des usines du quartier Cardinet : bon nombre d'ingénieurs ont fait construire de riches demeures dans cette cité.
La guide est bien documentée... mais j'ai oublié ce qu'elle a dit ici !
Au numéro 25, une plaque rappelle l'arrestation et la déportation des principaux responsables du service des faux papiers du M.L.N. (mouvement de libération nationale) pendant la deuxième guerre.
La Villa des fleurs est une vraie petite ville en soi : elle possède une école, une crèche, et même une église, Saint-Joseph des Epinettes.
Discrète, l'entrée de l'église : son entrée principale se fait de l'autre côté, par la rue Pouchet.
En entrant, l'oeil est attiré par ce plafond de béton armé d'où provient l'éclairage. L'église a été construite de 1909 à 1910. Elle a été financée par les Gouïn (banquiers et industriels tourangeaux) et les Rolland-Gosselin (agents de change).
Côté chœur
Côté orgue
L'orgue est magnifique : il s'agit d'un Cavallié-Coll construit probablement en 1898 pour le salon de la comtesse Anna de Noailles.
Voici la façade sur la rue Pouchet : elle est sobre, ayant pour seul décor les couleurs de brique contrastées.
Non loin de là, le jardin Paul Didier rappelle que ce dernier fut le seul magistrat à refuser de prêter serment au Maréchal Pétain en 1941.
Le jardin a été créé sur d'anciens terrains ferroviaires : la gare Saint-Lazare, qui est toute proche, est reliée ici à la petite ceinture qui faisait alors le tour de la capitale (sur 32 kms) pour acheminer les marchandises arrivant de province de gare en gare (Saint-Lazare, du Nord, de l'Est, Montparnasse etc.) à l'intérieur des fortifications édifiées en 1840.
En souvenir, à côté des rails restants, la municipalité de Paris a mis des traverses de chemin de fer le long de ce sentier piétonnier.
Eh oui, on est bien dans Paris !
La preuve, cette sortie de petite ceinture rue de la Jonquière et ce pont ferroviaire
Nous voici maintenant dans le Square Ernest Gouïn, rendant hommage à l'industriel qui fut constructeur de locomotives, d'ouvrages d'arts métalliques et d'infrastructures ferroviaires en France et à travers le monde.
Delphine Lanvin nous montre ici une photo d'Ernest Gouïn.
Les petits immeubles au fond du square étaient à l'époque les logements des cheminots.
Nous rejoignons maintenant l'avenue de Clichy puis le parc Clichy-Batignolles encore appelé parc Martin Luther King.
Des rails ont été placés sur le sol pour rappeler le passé ferroviaire du quartier. Au premier plan, l'Open Book de Diane Mclean qui donne de jolis reflets.
Notre guide nous montre le plan des constructions en cours (en voie d'achèvement).
Derrière le bâtiment autrefois dédié à la garde des décors de l'Opéra Garnier et servant de nos jours d'annexe au théâtre de l'Odéon (l'Odéon Berthier), se profile le nouveau Palais de Justice de Paris (l'ancien 36 quai des orfèvres si célèbre a été déménagé au 36 rue du bastion).
Fin de la balade : mine de rien on a fait pas loin de 6 kms...