Cette fois-ci, c'est la bonne !
Après plusieurs annulations, nous avons enfin pu assister à la visite guidée qu'Anne-Marie avait prévue pour ce mois de janvier dans le cadre de son atelier "Petites promenades dans Paris" à Générations 13 : celle de la Fondation Eugène Napoléon sise au 254, rue du faubourg Saint-Antoine dans le 12ème.
Notre guide - tout comme la semaine dernière pour la visite de l'Hôtel de Soubise - est toujours Gilbert Obel, de l'association "Paris Art et Histoire". Celui-ci va nous raconter tellement de choses (sans jamais regarder une note) que le post qui suit fera pâle figure au regard de sa conférence.
Mais enfin, c'est tout de même mieux que rien, non ?
L'histoire commence en 1834, année pendant laquelle la comtesse de Montijo, fuyant les remous des guerres carlistes, emmène ses deux filles en France, notamment dans la station balnéaire de Biarritz, proche de la frontière espagnole. Amie de Prosper Mérimée et de Stendhal, elle s'installe ensuite en 1854 avec ses filles dont Eugénie, la cadette, au 12 place Vendôme. Entre Biarritz et Paris, c’est Stendhal qui enseigne l’histoire aux deux jeunes filles et Mérimée, le français.
Les trois femmes sont régulièrement invitées aux cérémonies officielles données par le Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte qui, à 44 ans, est encore célibataire même s'il a une vie amoureuse bien remplie. Dès qu'il fait connaissance de la jeune et jolie Eugénie qui n'a, elle, que 25 ans, il s'en éprend rapidement.
"J'ai préféré une femme que j'aime et que je respecte à une femme inconnue dont l'alliance aurait eu des avantages mêlés de sacrifices" dira-t-il pour justifier son choix.
Eugénie est ici peinte par Franz Xaver Winterhalter en 1857 qui fût le portraitiste attitré du gotha européen durant le deuxième tiers du XIXème siècle. Avouez que le futur Napoléon III n'a pas fait un mauvais choix.
Le 26 janvier 1853, la Commission municipale de Paris vote une somme de 600.000 francs or pour l'acquisition d'un collier de diamants destiné à l'impératrice Eugénie, à l'occasion de son mariage avec Napoléon III. Pour se rendre compte de la somme que cela représente, il faut savoir qu'à cette époque le salaire journalier d'un ouvrier tourne autour des 2 francs. Cependant, deux jours plus tard Eugénie refuse le collier, souhaitant qu'avec cet argent soit créé "un établissement d'éducation gratuite pour les jeunes filles pauvres", ce qu'entérine une seconde délibération de la Ville.
« Monsieur le Préfet,
Je suis bien touchée d’apprendre la généreuse décision du Conseil Municipal de Paris qui manifeste ainsi son adhésion sympathique à l’union que l’Empereur contracte. J’éprouve néanmoins un sentiment pénible en pensant que le premier acte public qui s’attache à mon nom au moment de mon mariage soit une dépense considérable pour la Ville de Paris. Permettez-moi donc de ne pas accepter votre don, quelque flatteur qu’il soit pour moi, vous me rendrez plus heureuse en employant en charité la somme que vous aviez fixée pour l’achat de la parure que le Conseil Municipal voulait m’offrir. Je désire que mon mariage ne soit l’occasion d’aucune charge nouvelle pour le pays auquel j’appartiens désormais et la seule chose que j’ambitionne, c’est de partager avec l’Empereur l’amour et l’estime du peuple français.
Je vous prie, M. le Préfet, d’exprimer à votre Conseil toute ma reconnaissance et de recevoir pour vous mes sentiments distingués.
Eugénie, Comtesse de TEBA.
Palais de l’Elysée, le 26 janvier 1853 »
La somme servira à la construction des bâtiments actuels situés sur les dépendances de l'ancien marché aux fourrages de la barrière du trône, comme nous l'explique notre guide. Il fallait en effet une surface suffisante pour accueillir soixante jeunes filles (chiffre qui montera très vite à trois cents) dont le séjour devait se prolonger jusqu’à leur majorité (alors de 21 ans). Là, elles apprendraient, outre les fondamentaux de l'école (lire, écrire, compter), à coudre et à broder (les chasubles d'église en particulier), à repasser. Pour résumer, toutes les tâches ménagères réservées aux filles à une époque où la femme était réduite à la seule fonction de maîtresse de maison s'occupant des enfants. (Photo 2016)
Pour vous situer le lieu, celui-ci se trouve entre la rue du faubourg Saint-Antoine et le boulevard Diderot : Vus d'avion, les bâtiments sont vraiment impressionnants !
En hommage au geste généreux de l'impératrice, l'architecte Jacques Ignace Hittorff concevra un établissement de plan octogonal calqué sur la forme d'un collier dont le salon d'apparat sert de fermoir et la chapelle de pendentif.
Terminée l’année de la naissance du jeune Prince impérial en 1856 (il naît le 16 mars 1856), l’institution prend le nom de « Maison Eugène-Napoléon ». Elle ouvre ses portes le 1er janvier 1857. L'œuvre est confiée aux Sœurs de la Charité de Saint-Vincent de Paul qui resteront présentes sur le site jusqu'en 1976. La Fondation s’ouvre à la mixité en 1984, mais doit fermer son internat en 1994, les locaux n’étant plus aux normes. Après douze années de combat difficile, un nouveau projet se met en place, avec l’aide de la Région, de la Mairie de Paris, des Petits Chanteurs à la Croix de Bois et de la Congrégation Notre Dame.
Paris doit à Hittdorff, architecte de la Ville et du gouvernement, l'église Saint-Vincent de Paul, la gare du Nord, le cirque d'hiver, et les aménagements de la place de la Concorde, des Champs-Elysées et du bois de Boulogne.
Les photos qui suivent ont été, pour certaines, prises en 2016 lors d'une précédente visite avec M. Obel. C'est la raison pour laquelle, elles sont plus ensoleillées par rapport au temps couvert d'hier... Parfois, une petite piqure de rappel ne fait pas de mal tant il y a de choses à retenir !
Entrée principale à l'angle du faubourg Saint-Antoine et de la rue de Picpus : en 2019, le jardin de la Fondation Eugène Napoléon a pris le nom de Jardin de l'Impératrice Eugénie.
Sur le fronton, le nom de l'institution et celui de sa fondatrice (Photo 2016)
L'établissement, qui accueille des jeunes filles, est sécurisé : nous entrons dans l'institution en passant sous le passage couvert en fer forgé situé sur le côté droit.
Dans le vestibule, la quinzaine d'adhérents qui se sont inscrits à cette visite guidée.
Monsieur Obel nous montre ici l'endroit où nous nous trouvons : le fermoir du collier !
Le vestibule donne accès au Salon de l'impératrice. Cette pièce est toujours dans son état d'origine : les lourdes tentures de velours de soie cramoisi et la moquette très "anglaise" n'ont pas été changés depuis le XIXème siècle, paraît-il. De larges baies vitrées en font une pièce très bien éclairée.
Nous prenons place autour de l'immense table en palissandre.
Le mobilier (12 fauteuils et 12 chaises) est à l'effigie de Napoléon et d'Eugénie.
Encadrant la porte d'entrée, des portraits en pied des deux souverains par Franz Walter Winterhaler. Il s'agit de copies exécutées par Anton Hansmann car les originaux ont disparu dans l’incendie du palais des Tuileries en 1871. M. Obel nous a dit qu'il en existait de nombreuses, au Louvre, à Versailles, à Saint-Cloud, et bien d'autres encore.
L'impératrice Eugénie : Debout, en robe à crinoline, l’impératrice se tourne vers le spectateur en désignant les jardins du Palais des Tuileries. Elle arbore son très fameux diadème de perles et de diamants créé par Lemonnier. Dentelles et manteau vert émeraude contrastent avec les rideaux d’apparat rouges, qui s’ouvrent comme sur un décor de théâtre.
En pendant, de l'autre côté de la porte d'entrée, le portrait de Napoléon III
L'Empereur des français porte la Légion d’honneur, soulignant ainsi qu’il entend renouer avec les heures brillantes du règne de son oncle, Napoléon. Il tient dans la main gauche la main de Justice à côté de laquelle se trouvent le sceptre er la couronne impériale.
Les superbes cadres en bois doré mettant en valeur ces portraits sont surmontés du blason de la famille impériale : on y voit l'aigle impérial, au centre d'une croix formée par le sceptre et la main de justice. Une couronne surmonte l'ensemble.
Le style Louis XVI domine dans cette élégante pièce servant de lieu de réception et de repos à l'Impératrice. Les trumeaux des portes sont ornés d'un médaillon contenant les initiales des deux souverains, lequel médaillon est surmonté d'une couronne. En outre, une très élégante frise orne le plafond.
Une cour sépare le Pavillon d'Eugénie - abritant le salon de l'impératrice - de la chapelle, placée par l’impératrice sous la protection de la Vierge. On laisse derrière soi un bâtiment auquel l'architecte, Hittorff - qui était allé en Sicile et y avait constaté une antiquité colorée très différente de la perception monochrome du Premier Empire - a voulu donner un peu de couleur par le mariage de la pierre et de la brique. (Photo 2016)
Une statue de Saint-Vincent de Paul, patron des associations charitables, fait face à la chapelle. (Photo 2016)
Trois statues ornent la façade : L'Espérance, la Foi et la Charité. (Photo 2016)
La Charité est traditionnellement représentée par une femme tenant un bébé dans ses bras tandis qu'elle s'occupe tendrement d'un ou deux autres. (Photo 2016)
Entrons !
On est tout de suite interpellés par le plafond composé de caissons ornés de peintures sur toiles marouflées représentant des lys, des roses, des croix, des couronnes, des monogrammes de Marie (AM pour Ave Maria) et d’Eugénie (EM pour Eugénie de Montijo) dans des soleils sur fond bleu.
Vue sur le plafond du côté du grand orgue Cavaillé-Coll
Côté chœur
La fresque du chœur (de Félix Joseph Barrias) évoque l’origine de l’œuvre : l’impératrice offre symboliquement son collier à la Vierge en présence des orphelines de sa Fondation et des Sœurs de Saint-Vincent de Paul.
Dans sa peinture, Barrias a représenté l’impératrice agenouillée en orante devant la Vierge en Majesté. Cette position de prière (bras ouverts, paumes vers les cieux et doigt écartés) est celle des premiers chrétiens.
Dans la partie haute de la fresque, on voit Marie et l’enfant trônant, entourés de Sainte-Catherine et de Saint-Vincent de Paul. La tonalité jaune du ciel remplace le fond d’or des mosaïques byzantines habituellement utilisé dans les sujets sacrés pour illustrer la présence divine.
L’impératrice est représentée en robe de mariée avec dans sa main gauche un collier. On peut penser que ce collier est celui que la ville de Paris envisageait de lui offrir à l'occasion de son mariage.
Cette robe était « en velours épinglé blanc, constellée de pierreries. Le corsage montant avait de grandes basques rondes garnies de volants d’Angleterre et de deux rangées de diamants. Le devant du corsage, orné également de point d’Angleterre, coquillé droit, était enrichi depuis le haut jusqu’en bas d’épis en diamants formant brandebourg, au centre desquels brillait une étoile en guise de bouton. Les larges manches « pagodes » étaient décorées de quatre rangées de point d’Angleterre et entre chaque rangée scintillaient des diamants. […] La jupe et la robe étaient en demi-queue traînante, toute recouverte de point d’Angleterre » .
Barrias a pris soin de ne pas mettre en avant les bijoux portés par l’impératrice. Les diamants ont disparu dans le blanc de la robe. Il a bien représenté à la ceinture l’étoile qui sert de bouton mais ne lui a donné aucun éclat.
Derrière l’impératrice, sont représentées des mères qui confient leurs filles à l’institution. L’une d’elles exprime sa reconnaissance en embrassant la robe d’Eugénie. Une autre, qui tient sa fille dans ses bras, invoque la Vierge en levant son doigt au ciel.
Au second plan, à l’extrême droite de la peinture, nous apercevons l'architecte Hittorff : il arbore sur sa veste, bien visibles, ses différentes décorations dont la légion d’honneur. Barrias s’est lui aussi représenté : c’est d’ailleurs l’un des rares portraits qu’on ait de lui à l’âge de 34 ans. Il porte, par dessus de son costume, sa blouse bleue de peintre et tient dans sa main la casquette des plâtriers, peintres en bâtiments et à fresque.
À gauche de la fresque se tiennent des jeunes filles déjà accueillies par l’institution. Elles sont habillées uniformément : robes de mérinos gris aux cols blancs, liserés bleus retenant des médailles de la Vierge et bottines grises. Leurs cheveux sont couverts d’un bonnet de dentelles noires (réservé pour les cérémonies religieuses). Deux sœurs de Saint-Vincent de Paul les encadrent. Au second plan, assisté de deux enfants de chœur, un prêtre tient une bible.
Les pensionnaires prient pour leur bienfaitrice et deux d’entre elles répandent à ses pieds des roses – attribut de la Vierge –, rappel du jeté de pétales de roses effectué lors des processions de la Fête-Dieu.
Deux statues dans le chœur
Eugène à droite, Napoléon à gauche pour Eugène Napoléon, le fils d'Eugénie !
Saint-Eugène
Saint-Napoléon.
A noter que sous les Premier et Second Empire, la Saint-Napoléon est la fête nationale instituée le jour de la naissance de Napoléon Ier, le 15 août.
La statue de la Vierge située à droite du chœur rappelle que la chapelle lui est consacrée.
La cour de récréation des élèves donne sur l'arrière de la chapelle. (Photo 2016)
Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois ont maintenant élu domicile à Autun et actuellement, la Fondation abrite deux établissements de l'Enseignement Catholique, l'Ensemble Scolaire Saint Pierre Fourier (enseignement élémentaire et secondaire) dans l'une de ses ailes tandis que l'autre est occupée par l'Institut supérieur Clorivière qui dispense des formations aboutissant à un BTS en Economie Sociale et Familiale, Tourisme, Management et même Œnologie. ainsi qu'une résidence pour étudiantes d'une capacité de 87 chambres.
La Fondation ouvre son site au quartier et aux Parisiens par un programme d’activités culturelles proposées par la Ville de Paris, la mairie du XIIe et son conservatoire, par ses propres manifestations musicales et artistiques, des conférences ou des expositions et par l’ouverture au public du jardin de la rue Picpus.
Merci à Monsieur Obel pour cette visite passionnante et à Anne-Marie pour l'avoir organisée : une découverte pour tous et toutes.