Le temps n'étant pas trop mauvais samedi dernier et comme nous étions à Rouen, mes cousins ont eu l'idée de nous emmener visiter Fécamp qui n'est qu'à une heure de route.
La petite ville de bord de mer était jusqu'aux années 1970 réputée pour la pêche à la morue (ses marins allaient pêcher le poisson à Terre-Neuve) mais cette activité s'est arrêtée depuis suite à une interdiction de la pêche par les autorités canadiennes à cause de la surpêche.
Je ne résiste pas à vous montrer un tableau de Robert Antoine Pinchon, peintre normand que je connais bien et que j'apprécie..., représentant le port de Fécamp avec ses morutiers.
Le roi des ciels, Pinchon !
La ville est maintenant presque essentiellement tournée vers la navigation de plaisance et aussi vers le tourisme avec - Son abbaye clunisienne - et - son Palais Bénédictine.
C'est justement ce dernier qui nous a attiré ici, après toutefois nous être restaurés : avec le vent qui soufflait, nous étions contents de rentrer au chaud.
Ah, ces bords de mer normands !
La ville n'a rien d'exceptionnel... par contre le Palais Bénédictine fait grand effet : Il a été construit en mêlant le style néo-gothique au style néo-renaissance (c'est Wikipédia qui le dit) à la fin du XIXème siècle, pour Alexandre-Prosper Le Grand, négociant en spiritueux qui a fait fortune en "inventant" (en 1863) et en commercialisant la Bénédictine. Celui-ci était un grand passionné d'art et voulait créer un espace hybride mêlant l'art et l'industrie. Il s'est adressé à Camille Albert, un architecte originaire des Hautes-Alpes pour l'édifier. Les travaux commencés en 1882 s'achevèrent en 1888.
Aquarelle commémorant les 50 ans du Palais Bénédictine
Poussons la grille, voulez-vous ?
Je trouve ce mélange de pierre et de brique du plus bel effet.
Tout là-haut là-haut... une statue que je n'ai pas réussi à identifier...
Que dire de l'escalier de la cour d'honneur (dit "en queue de paon") : qu'il est sublime, non ?
Près de la porte d'entrée du Palais, un bronze représente Alexandre Le Grand assis surmonté d'un ange en pierre tenant dans une main une bouteille de la fameuse liqueur.
Au travers de cet élégant vitrail, on aperçoit un drapeau à l’emblème de la Normandie (deux léopards jaunes sur fond rouge) qui flotte à l'extérieur du bâtiment. Je vous ai dit qu'il y avait du vent...
Nous avons pris une visite guidée : celle-ci commence dans le péristyle où l'on découvre une statue de Dom Bernardo Vincelli, ce moine bénédictin italien de la Renaissance qui aurait séjourné à l'Abbaye de Fécamp à partir de 1509 et élaboré ici un "élixir de santé" à base d'épices arrivées d'Orient par le port de Venise et de plantes médicinales locales. Les moines bénédictins produiront la liqueur pendant près de 3 siècles jusqu'à ce que la Révolution emporte tout sur son passage, y compris la recette...
Dans les macarons, les initiales SB pour Société Bénédictine
Au plafond, richement décoré, l'architecte a habilement dissimulé une bouteille du précieux breuvage !
Dans le péristyle également, un superbe vitrail représente Dom Bernardo Vincelli entouré d'autres religieux en train d'élaborer la recette de l'élixir...
Attenante au péristyle se trouve la salle Gothique dont le plafond en bois peint est une pure merveille. Ce sont les charpentiers de marine du port de Fécamp qui en ont édifié le gros-oeuvre.
La bibliothèque du Palais Bénédictine se trouve juste en dessous de la mezzanine.
Dans la salle Gothique, nombre d’œuvres d'art sacré provenant pour partie de l'Abbaye de Fécamp, tel ce livre de psaumes en papier parcheminé.
Plusieurs pièces en cuivre et émaux de Limoges
Pyxide (vase sacré en forme de boîte utilisé pour conserver les hosties consacrées) du XIIIème siècle
Crucifix également du XIIIème siècle
Christ aux outrages (début XVIème siècle)
De très beaux objets en ivoire également tel ce Christ du XVIIème siècle taillé d'une seule pièce dans une défense d'éléphant, ce qui explique la position de ses bras...
ou encore celui-ci qui date du XVIIIème siècle (on aperçoit les jointures au niveau des épaules)
Que de souffrance exprimée par l'artiste dans ce visage...
Dans le Cabinet des manuscrits, sont exposés les plus beaux manuscrits anciens de la collection d'Alexandre Le Grand tel ce Livre d'heures enluminé du XVème siècle.
On accède ensuite à la salle du Dôme ou sont représentés les deux inventeurs : Alexandre Le Grand au travers d'un vitrail et Dom Bernardo Vincelli sous la forme d'une statue.
Notre guide nous montre le globe terrestre sur lequel Alexandre Le Grand pose une main tandis que de l'autre il désigne un ange ailé tenant à bout de bras une bouteille de la fameuse liqueur. Il veut ainsi signifier que l'élixir qu'il a ré-inventé est connu du monde entier...
Un détail du vitrail où l'on voit le précieux grimoire...
Voici la salle Renaissance : elle contient une impressionnante collection de ferronneries acquises par Alexandre Le Grand dans un château du Val de Loire.
Un décor un peu chargé tout de même...
Targette dite "de la salamandre couronnée"
Targette dite "du hérisson couronné"
Coffre de mariage à 7 pennes pour "mettre de l'argent de côté" (on aperçoit à gauche la petite case fermant à clé destinée à cet effet.)
Vitrine remplie de clés de coffres
Bottes de postillon en cuir pesant chacune 3 kilos : rassurez-vous, les bottes étaient fixées à la selle du cheval ! Un postillon était autrefois un conducteur de chevaux d'une voiture attelée chargée de distribuer le courrier.
La salle que nous visitons après est l'Oratoire dont le plafond fait très Violet-le-Duc.
Au centre de la salle, un bénitier du XIIIème siècle qui a la particularité d'être scindé en deux cuves, l'une d'elle servant à puiser l'eau pour baptiser le bébé et l'autre à recueillir les eaux impures : la religion catholique était sévère à cette époque avec les bébés...
Dans cette pièce aussi des instruments à vent en forme de serpents, servant à accompagner les chantres : quel souffle il fallait avoir !
Une belle nativité datant de 1550 (est de la France ou Allemagne)
Enfin, une statue en calcaire de Saint Denis portant sa tête (XVIème siècle).
Vous connaissez l'histoire du martyre de ce Saint qui, décapité à Montmartre après avoir été repéré par un gouverneur romain, s'est relevé et a porté sa tête pendant 6 kilomètres avant de s'écrouler (tout de même...) : c'est à cet endroit qu'a été construite la Basilique du même nom qui abrite les gisants des Rois de France.
La salle des Abbés est ainsi nommée car elle renferme les statues de tous les Abbés de l'Abbaye de la Trinité de Fécamp depuis sa fondation, à commencer par le premier, Guglielmo da Volpiano (également connu sous le nom de Guillaume de Dijon car c'était un moine bénédictin d'origine italo-bourguignone). Celui-ci accepte la charge d'abbé de Fécamp sous réserve que l'abbaye serait indépendante de tout pouvoir laïc. Sous son abbatiat, Fécamp va briller d'une nouvelle dimension culturelle (le chant grégorien est restauré).
Guillaume de Dijon : Abbé de 1000 à 1034
Le 43ème et dernier abbé est Dominique de La Rochefoucauld : abbé de 1777 à 1791
Autre abbé de Fécamp : Jean le la Balue (de 1480 à 1791). On le connait surtout pour avoir été accusé de trahison et enfermé par Louis XI dans une cage de fer pendant onze ans... Jean de la Balue est un peu l'arroseur arrosé : on dit que c'est lui qui est à l'origine de la fabrication de cette cage !
La salle des Abbés est aussi célèbre par le vitrail qui la décore représentant l'accueil du Roi François Ier par les moines de l'Abbaye en 1534 sous l'abbatiat de Jean de Lorraine.
Dans la salle située tout en haut du Musée, on trouve une maquette du Palais Bénédictine : difficile de savoir où l'on se trouve actuellement...
Les vitres la protégeant sont la plaie du photographe !
Dans la salle, un buste d'Alexandre Le Grand par Henri Désiré Gauquié (le sculpteur des candélabres du Pont Alexandre III s'il vous plait !) et juste derrière un alambic en cuivre ayant probablement été utilisé à l'époque.
Une vitrine est consacrée aux nombreuses imitations de la fameuse bouteille et de son contenu. Celles-ci proviennent du monde entier... mais le secret de fabrication est bien gardé (il en existe trois exemplaires tenus cachés en trois endroits différents de la planète...)
On peut aussi voir quelques publicités pour la liqueur...
et même des dessins humoristiques comme celui-ci où deux apothicaires se rencontrent...
Celui-là qui met en scène deux bourgeoises : la légende vous surprendra peut-être mais il faut savoir qu'à cette époque il était de bon ton d'être "un peu enveloppée" pour une femme !
Dans l'espace réservé à la fabrication, une affiche montre ses étapes depuis la macération des herbes jusqu'à l'embouteillage.
Il s'agit de quatre préparations de base, utilisant 27 plantes différentes, infusées dans de l'alcool. Chaque préparation est ensuite lentement distillée selon les ingrédients qui la composent dans des alambics de cuivre martelé.On obtient ainsi des alcoolats que l'on appelle aussi "esprits". Ces préparations sont vieillies séparément en fûts de chêne (8 mois). Édulcorées avec du sucre et du miel, les préparations sont enfin colorées au safran et mélangées. L'assemblage est alors prêt pour une double chauffe à 55°C, étape qui permet l'harmonisation de la composition. La liqueur obtenue est vieillie en foudre de chêne pour une durée de 4 mois puis filtrée et mise en bouteille.
Nous avons appris que l'embouteillage ne se faisait pas à Fécamp mais à Beaucaire dans le Var (au sein de l'usine du Groupe Bacardi-Martini).
La fabrication emploie 4 salariés seulement car elle n'est effectuée que tous les quinze jours si mes souvenirs sont bons.
Le cycle de fabrication de la Bénédictine s'étend sur deux années.
Voici l'espace dédié à la fabrication
Cette cave désaffectée est la seule ouverte au public. L'autre est cadenassée...
Cette vitrine présente les différentes épices et herbes qui participent à la composition de la liqueur.
Il ne reste plus qu'une étape à notre visite mais pas la moindre, celle de la dégustation : bien sûr, celle-ci incite à l'achat et comme dans tous les musées la sortie passe par la boutique !
Elle s'effectue dans un joli salon d'hiver arboré. Bon : je ne suis pas fan des alcools forts (la Bénédictine titre tout de même 43°C) mais un fond de verre pour goûter, ça peut aller. Le choix est donné aux visiteurs entre trois variétés différentes de liqueur (j'ai retenu qu'il y avait la "normale", la "B&B" au brandy et... la troisième : je l'ai oubliée !)
La bénédictine est exportée pour 75% en Asie et aux Etats-Unis depuis que la mode des digestifs est passée en Europe...
Bien intéressante cette visite, non ?