Dans le cadre des Petites promenades dans Paris organisées par Générations 13, nous sommes allés tous les deux visiter l'Ambassade de Roumanie rue Saint-Dominique, installée depuis 1939 dans l'Hôtel de Béhague, un hôtel particulier du septième arrondissement de Paris construit à la "Belle-Epoque".
Nous sommes ici dans le quartier du Gros-Caillou, borne qui séparait autrefois les abbayes de Saint-Germain et de Sainte-Geneviève.
A deux pas de là se trouve la Fontaine de Mars, d'abord appelée Fontaine du Gros Caillou, édifiée en 1806, bien mise en valeur par sa position au sein d'une placette entourée de cafés. A l'origine, son eau provenait de la pompe à feu du même nom.
La fontaine de Mars est un édifice de style néo-classique.
Elle représente Mars, dieu de la guerre, aux côtés d'Hygie, déesse de la santé. Le mot "hygiène" vient du nom de la déesse.
Mars est représenté nu, coiffé d'un casque : il porte un bouclier et une épée. Hygie, elle, est représentée couronnée de lauriers et tenant une coupe à la main dans laquelle vient boire un serpent.
Je viens de découvrir le coq en bas à droite : Les dames romaines sacrifiaient au dieu Mars un coq le premier jour du mois qui porte son nom, et c'est par ce mois que l'année romaine commençait jusqu'au temps de Jules César.
Trois mascarons de bronze crachaient l'eau autrefois (le dernier jusqu'en 2012). Au pied de la fontaine, un repère de crue signale le niveau atteint par les eaux de la Seine lors de sa crue de 1910 (le fleuve ne se situe qu'à 600 mètres d'ici).
L'hôpital militaire du Gros-Caillou, fondé en 1759, qui se situait juste en face de la fontaine a été démoli en 1895 car devenu vétuste. Il a été remplacé par des immeubles haussmanniens fort élégants.
Mais je "tourne autour du pot" : l'objet de cette sortie est bien l'Hôtel de Béhague, encore di de Béarn, dont voici la façade au numéro 123 de la rue Saint-Dominique.
Vous remarquerez les deux portes cochères en bois sculpté : l'une d'elles servait à l'entrée des voitures à cheval et l'autre à leur sortie.
C'est Michèle Mazure de l'association Paris Art et Histoire qui sera notre guide aujourd'hui (le groupe comprend une vingtaine d'adhérents).
L’architecte Gabriel Hippolyte Alexandre Destailleur (1822-1893) construit en 1866-1867 un grand hôtel particulier de style Louis XV pour abriter les collections et les boiseries du XVIIIe siècle de la comtesse Victoire-Félicie de Béhague. Cet hôtel sera entièrement démoli par la suite. En 1868, le même Destailleur construit sur le même terrain un petit hôtel particulier, toujours dans le style Louis XV, destiné à Octave de Béhague, le fils de la comtesse de Béhague.
Héritière d’un banquier franco-autrichien, le baron Samuel de Haber, Martine de Béhague, la fille d'Octave, est riche, très riche, mais son adolescence est ponctuée de drames : en moins de six ans, elle perd en effet ses parents, ses deux grands-mères et son grand-père paternel. Lorsque Berthe, sa sœur aînée, se marie avec le comte Jean de Ganay, sa solitude est grande. Cependant, un peu plus tard, elle se marie à 20 ans au comte René de Galard de Brassac de Béarn (OUF !), sous-lieutenant au 20e régiment des chasseurs à cheval, issu de la plus ancienne noblesse. Martine de Béhague devient ainsi comtesse de Béarn (on ne prononce pas le n).
Les deux fortunes réunies permettent l'agrandissement entre 1895 et 1904 des anciens bâtiments dont Walter-André Destailleurs, fils d'Hyppolyte, sera chargé. Robert de Montesquiou, qui avait la dent dure envers Martine de Béhague, appellera son hôtel particulier la "Byzance du septième".
L'union s’avère cependant un échec : cinq ans plus tard, ils sont officiellement séparés de corps. Le divorce, scandaleux à l’époque, ne sera prononcé qu’en 1920, lorsque les mœurs se libéreront, et Martine reprendra alors son nom de jeune fille.
Sans enfant, elle se réfugie dans les voyages et réunit une collection d'œuvres d'art. Elle entretient également des relations avec des écrivains et des peintres dont elle collectionne les œuvres. Pour plus amples renseignements, voir l'article de la Gazette Drouot, très intéressant, en cliquent ICI.
Martine de Béarn par Pascal Dagnan-Bouveret en 1897
Cet abri-couvert servait à l'époque à se mettre à l'abri des intempéries.
Dans le hall d'entrée, un panonceau aux armoiries de la Roumanie : Michèle Mazure nous précise qu'ici, nous ne sommes plus en France... L'hôtel de Béhague a en effet été acheté peu de temps après le décès de sa propriétaire par le roi Carol II de Roumanie et est actuellement le siège de l'Ambassade de Roumanie en France.
Ce meuble très travaillé possède des charnières ainsi que de petits tiroirs (merci pour l'info Rosalia).
Une photo de Monick
Détail
Cette pièce intermédiaire élégamment voûtée et éclairée par de jolis flambeaux donne accès au jardin.
Photo internet
Elle est ornée d'une très jolie statue de marbre blanc qui représente l'enlèvement de Ganymède.
Ce jeune prince, fils du roi Tros et de la nymphe Callirrhoé est décrit dans l'Iliade comme le plus beau de tous les adolescents de la terre. Bien sûr Zeus en tombe follement amoureux et utilise sa faculté de se transformer pour séduire le jeune garçon. Dans le cas présent, c'est déguisé en aigle qu'il enlève Ganymède alors que ce dernier fait paître son troupeau sur le mont Ida en Phrygie. Il en fait son amant et par la même occasion, Ganymède devient l'échanson des dieux.
La statue peut être contemplée de dos grâce à l'immense miroir situé au fond de la pièce.
De l'autre côté se trouve un escalier monumental absolument superbe qui s'inspire de l'escalier de la Reine à Versailles et est habillé de somptueux marbres polychromes.
Sa rampe en fer forgé m'a tapé dans l'œil.
A l'étage, des miroirs agrandissent l'espace.
La fixation de cette lanterne est particulièrement soignée.
En haut de l'escalier un très joli haut-relief représente "Le temps emportant l'Amour", une œuvre de quatre mètres de hauteur, réalisée en 1898, par le sculpteur Jean Dampt (1854-1945).
Le temps est comme de coutume représenté sous les traits d'un vieillard portant une faux. Quant à l'Amour, c'est un bébé que le vieillard tient dans son bras.
Pour accéder à ce premier étage, il y avait donc cet escalier mais aussi l'un des tout premiers ascenseurs de Paris.
On entre dans le Salon bleu par des portes très finement sculptées comme c'est, du reste, le cas dans tout l'Hôtel.
Le Salon bleu tire son nom de la couleur des tapisseries de son mobilier. Dans l'angle, une plaque de rue porte le nom de Georges Enesco (1881-1955), compositeur, grand virtuose du violon et également chef d'orchestre.
Rapsodie roumaine de Georges Enesco : concert 2022 à la Tour Eiffel
Michèle Mazure nous fait encore une fois remarquer ici la richesse de l'ornementation de cette porte (qui donne accès à la bibliothèque) et surtout celle de sa serrure.
Nous passons ensuite dans le Salon d'Or qui servait de bureau et de salon de réception à Martine de Béhague. Il fut aménagé en 1897 et est décoré de magnifiques boiseries rococo dorées à l'or fin.
Comme vous l'aurez remarqué, chacune des pièces est ornée des trois drapeaux français, roumain et européen. La Roumanie est dans l'Europe même si elle a gardé sa monnaie, le leu.
Le plafond est peint aux couleurs du ciel...
Les peintures des dessus de portes sont dans le style des compositions florales du XVIIème.
Un petit salon octogonal et aveugle donne accès, si mes souvenirs sont bons, à la Salle à manger.
Il est décoré de très jolies boiseries rococo.
Des toiles en leur centre représentent des scènes champêtres.
La salle à manger est habillée de marbres polychromes dans le goût de Versailles.
Elle est décorée d'une œuvre de jeunesse de François Boucher (1703-1770), « La Naissance de Vénus ».
Le tableau fit l’objet d’une étude en 1994.
Il fut acheté aux environs de 1902-1904, pour 21 000 £, aux descendants de madame Tussaud qui l’avait acquis vers 1848 et exposé dans son musée de cires. L’historien d’art Alastair Laing suppose que cette œuvre fut exécutée vers 1731.
Face à lui, une décoration très surprenante : il s'agit d'une fontaine, la Fontaine de Neptune, à double vasque.
Le haut-relief qui la surmonte reprend le motif du " Bain des Nymphes " de François Girardon (que l'on peut voir à la Cité de l'architecture et du patrimoine).
L'univers aquatique est en effet très à la mode au XVIIIe siècle. En témoigne la frise cernant le plafond en forme de stalactites.
Dans sa niche de jaspe vert, la «fontaine de Neptune» est faite d’une double vasque en forme de conque, avec un masque de grotesque à barbe ruisselante, qui crachait de l’eau, servant probablement à rafraîchir les boissons.
Un peu inquiétant, non ?
Quittant la salle à manger, nous voici maintenant dans une petite pièce dotée d'un escalier pouvant mener à la Bibliothèque, pièce que nous ne visiterons pas mais dont j'ai trouvé une photo grâce à mon ami internet. Martine de Béhague avait hérité de son père l'amour des livres et elle confiera le soin de sa bibliothèque à Paul Valéry.
Pour terminer cette visite, Michèle Mazure nous emmène visiter... le théâtre.
Martine de Béhague a en effet pour autre passion la musique et elle veut une salle de concert. Il faudra plus de huit ans pour aménager ce temple au décor byzantin dont Robert de Montesquiou (vexé de ne jamais être invité par la propriétaire de l'Hôtel de Béhague) disait "C'est la Byzance du quartier du Gros Caillou".
Il s’agit à l'époque d’une sorte de théâtre-musée aux murs peints de nuances d’or, orné de colonnes de marbre, d’un balcon en porphyre, de panneaux mosaïqués où des soieries anciennes pendent du plafond pour des raisons esthétique et acoustique. Il n’y a pas à Paris de plus grande salle de spectacle privée.
Martine de Béhague y a donné de nombreuses représentations : Gabriel Fauré y dirigea son requiem. En 1909, Isadora Duncan y dansa, invitant ainsi le Tout-Paris. A l'époque, elle avait fait appel à Mariano Fortuny, artiste complet et éclectique qui fut couturier (il inventa le plissé), photographe, architecte, sculpteur, mais aussi scénographe, le chargeant de créer l'éclairage de son théâtre.
Cliquez ICI pour écouter le podcast de France-Inter sur le théâtre Byzantin.
Le voici éclairé tel qu'il est actuellement en vue d'un prochain spectacle.
Gilbert Obel a pris le relais pour nous conter l'histoire de la Roumanie, un pays au passé très mouvementé entouré à l'heure actuelle par cinq pays : au nord par l’Ukraine, à l’est par la Moldavie et la mer Noire, au sud par la Bulgarie et à l’ouest par la Serbie et la Hongrie. Parmi ces six pays, il est le seul à avoir une langue d'origine latine (on y parle souvent le français dans les villes, mais moins dans les campagnes bien sûr : je l'ai observé à deux reprises, une fois sous Ceausescu et une fois peu de temps après la chute du mur).
Pour plus de renseignements sur l'histoire du pays, consultez ICI le site de l'Ambassade à Paris.
Un grand merci à Anne-Marie pour avoir organisé cette visite qui nous a permis de découvrir, à portée de métro, de fort belles choses. Ceci bien sûr n'aurait pu se faire sans la compétence de nos deux guides, Michèle Mazure et Gilbert Obel que je remercie ici.