De passage à Sotteville pour 2-3 jours, nous sommes allés en compagnie de mes cousins visiter un musée fort intéressant : celui de la Corderie Vallois. Le musée est situé dans la banlieue nord de Rouen à Notre-Dame-de-Bondeville.
L'entreprise familiale employant une quarantaine d'ouvrières en 1936 a fermé définitivement ses portes en 1978 après un siècle de fonctionnement. Elle ne comptait alors plus que 10 ouvrières.
L'industrie cotonnière s'installe dans la région rouennaise dès le XVIIIème siècle (le port de Rouen est une aubaine pour les professionnels du textile) mais durant la seconde partie du XIXème siècle elle sera en déclin car elle ne pourra concurrencer la production à bas prix des pays étrangers.
La corderie Vallois va tirer parti de la présence du Cailly, un affluent de la Seine d'une trentaine de kilomètres, pour s'implanter en 1880 en lieu et place d'une ancienne filature de coton.
Le Cailly à Notre-Dame-de-Bondeville
Dès l'entrée dans le site on est mis au parfum avec, sur un bras de la rivière, ces sculptures d'une exposition précédente intitulée "Elles..., au fils de l'eau", rendant hommage aux ouvrières qui travaillèrent à l'usine de M. Vallois. Elles avaient pour prénom Angèle, Louise, Ginette, Félicie, Clémentine, Joséphine ou encore Eugénie...
Le bâtiment de la corderie donnant sur le Cailly
L'énergie produite par une grande roue à aube est transmise aux différentes machines par le biais des engrenages et des arbres de transmission : le guide nous a distribué des écouteurs car le bruit qui règne dans l'atelier est très impressionnant...
Le coton utilisé dans la corderie provenait des pays chauds : le sud des États-Unis, l'Inde, l’Égypte, la Chine, le Pakistan. Il arrivait par le port de Rouen sous la forme de balles et ces dernières étaient transportées par train jusqu'aux usines de la vallée du Cailly. Une fois arrivé dans les usines, le coton subissait plusieurs opérations dans les filatures avant d'être acheminé à la corderie sous forme de bobines de fil.
Jusqu'en 1950, le principal débouché de la corderie fut l'industrie textile qui utilisait les cordes de coton comme courroie de transmission. Par la suite, les mêmes produits se sont vendus pour des utilisations plus variées : la passementerie, la bonneterie, l'industrie des mèches à bougie.
Ceci a permis à l'entreprise de perdurer jusqu'en 1978.
Même si cette entreprise était plutôt familiale et paternaliste, les conditions de travail y étaient tout de même très difficiles : ceci est rappelé dans le Musée par des affichettes où l'on peut lire :
"Le pire était vraiment en bas. En plus de la crasse y'avait cette odeur d'huile et de vieux coton rance. 48 heures par semaine debout à circuler au milieu des taches d'huile servant à graisser les machines. L'hiver, l'huile gelait et l'été elle fondait, coulait le long des montants, ruisselait sur le parquet".
La première machine que le guide fait fonctionner devant nous est une retordeuse à ailettes. Il s'agit d'une machine anglaise datant de 1920, constituée d’un bâti en fonte et d’un nombre plus ou moins important d’ailettes. Elle permet de confectionner le moulinet.
Des fils provenant des bobines émettrices, placées en haut de la machine, sont assemblés et retordus par les ailettes sur les bobines réceptrices situées en bas de la machine.
Ainsi, à partir de deux bobines comprenant chacune six fils, on obtient un produit final à douze fils qui sera soit conditionné pour la vente, soit utilisé pour confectionner le câblé en atelier. Afin de bien répartir le fil obtenu sur toute la bobine réceptrice, celle-ci est positionnée sur un plateau qui monte et descend.
Je ne rentrerai pas dans le détail des différentes machines utilisées pour fabriquer les différents câbles (torons ou moulinets) car je n'en suis pas capable...
Regardez et écoutez seulement le bruit qu'elles provoquent...
Une toronneuse
On peut d'ailleurs lire une affichette dans le musée qui dit :
"Et puis y'avait le bruit infernal : roulement des tambours, cliquetis, crissements des poulies, des engrenages. On devenait sourd à force : on s'parlait fort, par gestes, ou fallait s'parler à l'oreille pour s'comprendre. Et les "plaques", ces petits morceaux de coton qui voletaient partout, y'en avait partout partout... y s'fixaient sur les cheveux."
Sans parler des immenses surfaces vitrées de l'atelier dont on comprend bien qu'elles permettaient aux ouvrières de commencer leur travail le matin au lever du jour pour le terminer le soir à la tombée de la nuit... transformant l'atelier en fournaise l'été et en glacière l'hiver !
Les voici, ces ouvrières, photographiées en 1913 en compagnie du contremaître (au centre) et du Directeur de l'usine (à droite).
Pas vieux les enfants en arrière plan... A cette époque, il était fréquent que les enfants travaillent le jour suivant leur anniversaire, à 12 ans.
Le bureau du contremaître se trouvait au premier étage, celui des machines anglaises. Il a été conservé ainsi qu'il était à la fermeture de la corderie.
Cet escalier en bois et en tommettes conduit au premier étage, l'étage des machines à tresser (françaises pour la plupart).
C'est par ce toboggan que les ouvrières envoyaient les colis contenant le produit de leur travail à l'étage inférieur pour expédition.
Et le travail des ouvrières à cet étage c'est la fabrication des tresses (plates et rondes). En voici quelques unes qui ont été fabriquées avec les métiers conservés dans le musée. Ce dernier les offre aux visiteurs...
Un métier à tresser français (tresse ronde) en fonctionnement
Jusqu'en 1948, les ouvrières travaillaient une cinquantaine d'heures par semaine. Elles étaient payées au rendement et à la quinzaine. Le rythme du travail était aléatoire et dépendait de l'importance des commandes. Malgré des conditions de travail difficiles et précaires, les revendications étaient rares et se réglaient souvent entre les ouvrières et le contremaître.
C'est à cet étage que se trouvait le bureau du Directeur de l'Usine. Les ouvrières en connaissaient bien le guichet...
Le bureau était occupé en dernier lieu par M. Mallet.
Une ouvrière rapporte :
"Et les gerçures... ! Parce que M. Mallet y voulait pas qu'on coupe avec les ciseaux. Forcément, on allait moins vite avec les ciseaux, fallait les attraper à chaque fois. Alors, pour aller plus vite on cassait le fil entre nos doigts et ça nous coupait là, au doigt. Un jour, j'ai vu mes doigts en sang !"
Une sculpture d'Edith Molet Oghia en forme de ciseaux se trouve à l'entrée du musée. Elle symbolise la féminité : comme les ouvrières, les ciseaux sont rouillés, usés...
Une visite qui a ravi tout le monde !