Aujourd'hui, nous allons visiter le Château d'Abbadia : une autre suggestion de Josette. Il se trouve tout près de la frontière avec l'Espagne, près de Hendaye.
Le château a été construit au XIXème siècle, entre 1864 et 1884, pour Antoine d'Abbadie, ethnologue, géographe et homme de science. Celui-ci est né en 1810 à Dublin d'une mère irlandaise et d'un père basque et sera toujours un ardent défenseur de ses deux langues maternelles.
Mêlant style néogothique et orientaliste, le château est l'une des rares créations de Eugène Viollet le Duc, assisté d'Edmond Duthoit.
Le parc est l'oeuvre du concepteur parisien Eugène Bühler (1822 - 1907), reconnu avec son frère Denis comme les plus grands de leur temps à la veille du Second Empire. L'art de Bühler est d'arriver à créer un parc qui ressemble à un paysage naturel et il a parfaitement rempli son contrat.
Il est idéalement placé,entre la mer et la montagne.
Au loin, la Rhune qui culmine à 905 mètres
Arrivés en avance par rapport à l'horaire de la visite guidée (le château ne se visite pas autrement et c'est très bien ainsi), nous avons le temps d'en faire le tour : créneaux, tours, clochetons, tout est fait pour nous transporter au Moyen-Age... même si on est ici en plein romantisme.
C'est ainsi que nous découvrons toutes sortes de sculptures animalières comme ici ce serpent qui s'apprête à accéder à la belle balustrade...
ou cet éléphant qui accompagne une gouttière.
Il faut dire qu'Antoine d'Abbadie réalisa la première cartographie de l'Ethiopie après un séjour de douze ans dans ce pays où il était venu chercher les sources du Nil blanc. Parmi les quatorze langues qu'il parle couramment, il y a l'Amharique (éthiopien courant) et le Guèze (pour l'amharique ce que le latin est au français)...
Voici un exemple d'écriture en Guèze...
Tiens tiens, quels sont ces deux oiseaux perchés sur un balcon... ?
Tout comme le chat, ils profitent de l'endroit pour admirer la belle vue sur la mer.
En tout cas, cette bestiole a de belles moustaches et elle vient visiblement d'attraper une souris !
Plus tranquille ce superbe coquillage
Il y a aussi, sur les murs du château, des personnages un peu grotesques, tel ce singe-astrologue situé en haut du mur de la chapelle, sous la croix...
qui scrute le ciel à l'aide de sa longue-vue.
ou cette autre créature velue semblant tourner délibérément le dos à un escargot !
Mais l'heure de la visite guidée approchant, nous nous rendons à l'entrée du château dont le porche encadré par des palmiers (on est dans le sud, il faut en profiter pour faire un clin d'oeil à l'Ethiopie peut-être...) est surmonté d'un blason sur lequel s'enroule un serpent (photo Agnès Pascal).
Nous restons dans l'exotisme avec, de chaque côté de l'escalier, ces deux crocodiles qui semblent attendre le visiteur dans la ferme intention de n'en faire qu'une bouchée !
En haut des marches le portail est encadré par deux lévriers : un rappel aux animaux de compagnie favoris de Virginie Vincent de Saint-Bonnet, l'épouse d'Antoine.
Deux petites grenouilles semblent veiller sur eux.
L'inscription en langue basque au-dessus de la porte signifie "Cent mille bienvenues"
Sympa !
Au dessus de la lanterne marquée d'un A et d'un V pour Antoine et Virginie, des feuilles de trèfle rappellent l'origine irlandaise de la mère d'Antoine d'Abbadie,
tandis que le blason au plafond est celui de la famille de son père.
Le nom complet d'Antoine d'Abbadie est Antoine Thomson d'Abbadie d'Arrast.
Mais quel est donc ce trou dans le mur extérieur du château... ? Tout autour, on peut lire en basque
"Je n'ai rien vu, je n'ai rien appris."
Mystérieuse phrase et mystérieux trous (il y en a sept en tout dont cinq à l'intérieur) que le visiteur est invité à chercher pendant la visite guidée, très agréable d'ailleurs et à laquelle je vous invite maintenant.
Mais avant, une dernière vue sur la Rhune : vous comprendrez pourquoi plus tard.
Les photos étant interdites à l'intérieur, je vais utiliser celles que j'ai trouvées à droite à gauche ou présentes sur le site du château, qui d'ailleurs sont très bonnes. Le château comporte trois parties : la Bibliothèque et l'Observatoire, la Chapelle et enfin l'habitation.
La première pièce dans laquelle on accède est le Vestibule où l'on peut voir des objets rapportés de ses voyages lointains par Antoine d'Abbadie et des fresques montrant la vie quotidienne en Ethiopie.
Les peintures sont sombres, à la mode du romantisme, nous explique la guide.
Trophées et boucliers éthiopiens (photo Revue des Patrimoines)
Détail des peintures murales
Le porte-flambeau situé en haut de l'escalier d'honneur a été sculpté et placé ici en hommage à un jeune esclave noir de huit ans, Abdullah, que le scientifique avait reçu en cadeau du Roi d'Ethiopie en l'affranchissant au préalable, et qu'Antoine d'Abbadie avait ramené en France.
Plus tard, la campagne du pays basque ne lui convenant pas, Abdullah s'engagea dans l'armée de Napoléon III et combattit à Solférino et en Alsace. Malheureusement lors de la Commune en 1871, il tomba sous les balles ennemies...
Abdullah
Le vestibule distribue presque toutes les pièces du château même si celui-ci possède deux étages.
Nous ne ferons qu'admirer cet escalier à vis en partie en trompe-l'oeil : on a l'impression (fausse) qu'il ne se terminera jamais... (Photo hiveminer.com)
La Chambre d'Honneur était réservée aux invités.
Le lit à baldaquin porte l’inscription en vieux français « Doux sommeil, songes dorés, à qui repose céans, joyeux réveil, matinée propice » .
La cheminée s’agrémente de carreaux de majolique jaune et bleu turquoise ; sur le fond du carrelage on peut lire le proverbe arabe : « Ne jette point de pierres dans le puits dont tu bois l’eau ».
Les murs sont recouverts de grands panneaux de toile peinte tendue, garnis de rosaces avec de la calligraphie arabe.
La Chambre de Virginie d'Abbadie possède une fenêtre qui donne sur l'océan... Au fond de la pièce, une porte encadrée d'une tenture donne accès au balcon donnant sur la Chapelle.(Photo inventaire.aquitaine.fr)
Voici le balcon donnant sur la Chapelle
A droite de la cheminée, des portraits d'Antoine et Viriginie d'Abbadie.
Une bien jolie jeune femme...
La Chapelle du château (Photo inventaire.aquitaine.fr)
La nef, constituée en une grande salle rectangulaire, pouvait accueillir les fermiers du domaine d'Abbadia. Les murs rouges, peints en trompe-l'oeil, portent le monogramme S.A. pour Saint Antoine le Grand.
Antoine et Virginie d'Abbadie reposent dans une crypte sous l'autel.
Les arcs de la charpente portent un plafond de bois peint.
Le Salon d'Honneur ou Grand Salon est une grande pièce circulaire située dans la tour sud.
Lambrissée à mi-hauteur, les murs sont peints en bleu et parsemés des monogrammes dorés A et V en caractères gothiques. La cheminée constitue l’ornement principal de ce salon : réalisée en pierre d’Angoulême, sur un dessin de Duthoit, elle évoque les intérieurs médiévaux.
Au centre de la hotte, le blason d’Antoine d’Abbadie avec sa devise « Plus être que paraître » en phylactère mais également un décor reposant sur le thème du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle (remarquez les coquilles tout autour du blason).
Sur le manteau de la cheminée, une citation latine est sculptée : « La vie passe comme la fumée. »
Ce monsieur était décidément un grand sage...
D'autres vues du Salon d'Honneur
Sur la photo précédente on aperçoit l'entrée du Fumoir arabe dont voici une magnifique vue du plafond. Les murs sont recouverts de panneaux de staff imitant les motifs caractéristiques de l'Alhambra ainsi que de carreaux de faïence de style persan. (Photo Revue des Patrimoines)
La Salle à Manger des d'Abbadie était prévue pour 18 convives. Ses murs sont recouverts de cuir de bufle.
Les chaises autour de la grande table portent chacune une lettre éthiopienne.
L'ensemble, dans l'ordre, permet de lire la devise : "Puisse-t-il autour de cette table ne jamais se trouver de traître". (Photo flikr - Renaud Camus)
L'Observatoire d'Antoine d'Abbadie, passionné d'astronomie, se trouve à l'étage.
C'est la seule pièce très éclairée du château. En 1897, à sa mort, le château est légué à l'Académie des Sciences selon sa volonté. Celle-ci en est encore propriétaire et l'Observatoire fonctionnera jusqu'en 1975 (Photo Tripadvisor).
Il était animé à l'époque par une équipe de six à huit scientifiques. La lunette méridienne, réalisée par un Allemand, est unique. (Photo Tripadvisor)
Pas de science sans Bibliothèque : celle-ci se trouve également à l'étage.
Placée au cœur du château, elle est le symbole de l’esprit éclectique de son propriétaire : les rayonnages sont parcourus par une galerie en châtaignier et des consoles de fer à gros boulons la soutiennent dans un décor qui préfigure l’Art Nouveau.
Sur les poutres on peut lire des maximes en basque comme : Erhobat askida harricantoinbat puzura egoſteco, sei zuhur beharda haren handik itoiteco « Il suffit d'un fou pour jeter un bloc de pierre dans un puits, il faut six sages pour l'en retirer ».
Quelle sagesse !
Elle est composée d’ouvrages scientifiques et littéraires.
Lorsque Antoine d’Abbadie légua son château à l’Académie des Sciences, en 1896, cette bibliothèque dénombrait plus de 10 000 volumes, entre autres plus 960 ouvrages basques et 234 superbes manuscrits bibliques et littéraires, écrits en Guèze, langue liturgique éthiopienne, en consignation à la Bibliothèque Nationale, où ils constituent la plus grande partie du fonds éthiopien.
Dans la partie inférieure sont classés des publications astronomiques qui témoignent, avec les machines à calculer sur la table, de l’activité de l’ancien observatoire.
Vous souvenez-vous des trous dans les murs du château et de cette photo montrant la Rhune vue depuis le porche d'entrée du château ?
Ce sont les traces d’une des expériences conduites par Antoine d’Abbadie dans son château-observatoire. Cette expérience, destinée à étudier le phénomène de la réfraction atmosphérique de la lumière, fut conçue avant même la construction du château. Antoine d’Abbadie souhaitait en effet se pourvoir d’une lunette de grande longueur qui lui permettrait ainsi de mesurer des variations angulaires très faibles. Il décida alors d’utiliser la structure même de son château comme support d’une lunette destinée à être fixement dirigée vers le sommet de La Rhune.
Cette expérience ayant échoué, il fit graver autour du dernier trou, sous le porche, ces quelques mots en basque « Ez ikusi, Ez ikasi » (« Je n’ai rien vu, je n’ai rien appris »).
Une visite vraiment très intéressante