Cet après-midi nous sommes allés visiter la maison d'Edmond Rostand à Cambo-les-bains (25 kms au sud-est de Biarritz, sur la route d'Espelette). C'est Josette qui nous l'a conseillé car, outre la maison, il y a un très beau jardin et la journée s'annonce ensoleillée.
La commune fête cette année les 100 ans du décès de l'écrivain.
Le premier bâtiment rencontré est "la ferme" : à l'intérieur, le visiteur fait connaissance avec l'écrivain et son oeuvre au travers d'une exposition.
Villa Arnaga, c'est le nom qu'Edmond Rostand donnera à la maison qu'il va faire construire ici : ce nom vient de celui de la rivière qui coule à Cambo - Arraga - dont l'écrivain a juste changé une lettre pour en rendre la sonorité plus douce. En langue basque, Arraga signifie "lieu de pierre".
Edmond Rostand était venu à Cambo-les-bains à l'automne 1900 pour soigner une pleurésie. Il y revient en janvier 1902 pour s'y établir définitivement. Après des semaines de recherches, il a enfin trouvé l'endroit rêvé : le futur domaine d'Arnaga se situe sur un éperon à la confluence de la Nive et d'un petit ruisseau.
Au directeur du Gil Blas, Pierre Mortier, qui lui demandait ce qu'il faisait dans ces montagnes alors que l'Académie française l'attendait, Rostand répondit par la lettre suivante, qui est en outre un sonnet de la plus belle eau.
Ce que je fais
"Ce que je fais, Monsieur ? Des courses dans les bois,
A travers des ronciers qui me griffent les manches ;
Le tour de mon jardin sous les arceaux de branches,
Le tour de ma maison sur un balcon de bois.
Lorsque les piments verts m'ont donné soif, je bois
De l'eau fraîche, en prenant la cruche par les hanches ;
J'écoute, lorsque l'heure éteint les routes blanches,
Le soir plein d'Angélus, de grelots et d'abois.
Ce que je fais ? Je fais quelquefois une lieue
Pour aller voir plus loin si la Nive est plus bleue ;
Je reviens par la berge ? Et c'est tout s'il fait beau.
S'il pleut ? Je tambourine à mes vitres des charges ;
Je lis, en crayonnant des choses dans les marges ;
Je rêve, ou je travaille."
Après le succès de Cyrano de Bergerac et de l'Aiglon, Edmond Rostand écrit Chantecler, une très belle fable poétique, lyrique et allégorique où par le truchement des animaux, tous les défauts humains sont raillés : la vanité, l’ambition, la jalousie, le cynisme, la prétention…
Dans le rôles principal, un très grand acteur de l'époque : Lucien Guitry.
Malgré certaines critiques haineuses (la forme de "Chantecler" déconcerte, notamment la presse nationaliste) ou dubitatives, le public se presse nombreux. La pièce part ensuite en tournée dans toute la France et à l’étranger.
Avouez que ce n'est pas banal comme costumes de scène !
Bien sûr, à Arnaga il y a un poulailler !
Le succès de "Cyrano de Bergerac" fût tel qu'il y eut des heures d'applaudissements. La pièce apporta la fortune à son auteur grâce à quoi il put se permettre de réaliser son rêve : se faire construire un villa en pays basque entourée d'un immense jardin : l'architecte en sera Joseph-Albert Tournaire.
Passée la ferme et le poulailler, la visite se poursuit par celle du Jardin à la française au bout duquel se trouve la maison de l'écrivain. Sa femme, Rosemonde Gérard, elle même poétesse, a écrit de son mari :
"c'est dans ce jardin dont il connaissait chaque sentier, chaque brin d'herbe et chaque féérie, qu'il avait établi le monde de ses pensées, de ses projets et de ses espérances."
A l'entrée, une grande pergola, composée de deux pavillons reliés ensemble par une colonnade, clôture l'espace du jardin à la française.
La perspective sur la maison est splendide : c'est Edmond Rostand lui-même qui a dessiné dans les moindres détails tous les plans du jardin et de la maison.
Eloignons-nous un peu de la pergola...
En arrivant aux abords de la villa se trouve, face à l'orangerie, un grand portique mettant en valeur les bustes de trois grands écrivains qu'Edmond Rostand admirait tout particulièrement : Shakespeare, Victor Hugo et Cervantès.
On aperçoit derrière les bustes la forêt que l'écrivain a fait planter avec des arbres déjà âgés de 30 ans de façon à en profiter tout de suite.
Shakespeare
Victor Hugo
Cervantès
De jolis hibiscus blancs décorent le portique et... André m'a fait remarquer que de petits lézards s'y promenaient.
Nous arrivons finalement en vue de la maison qu'Edmond Rostand a habitée entre 1906 et 1918, date de sa mort. Il est décédé - tout comme ma grand-mère - de la grippe espagnole qui sévissait à cette date. La construction d'Arnaga (villa et jardins) n'aura pris que 3 ans aux architectes que l'écrivain a engagés.
Remarquez que la maison se reflète dans la pièce d'eau...
Notre visite sera guidée pour ce qui concerne le rez-de-chaussée et libre à l'étage.
Comme je l'ai déjà signalé, c'est Edmond Rostand lui-même qui a dessiné tous les plans de la maison et du jardin, avec l'aide d'un architecte.
Il s'agit d'une maison de style néo-basque, à toiture asymétrique, possédant des décorations "rouge basque" et quelques ouvertures en demi-cercles permettant à la lumière de rentrer.
Originellement, on employait du sang de bœuf pour enduire les pièces de bois car il était réputé avoir des vertus protectrices contre les insectes et le pourrissement. Les Basques ont conservé cette couleur qui s'harmonise si bien avec le bleu du ciel et le vert de la végétation luxuriante du Pays basque.
Le poète vit ici une vie loin des mondanités parisiennes, avec sa femme, la poétesse Rosemonde Gérard, et leurs deux fils, Maurice et Jean qui deviendront, l'un romancier et auteur dramatique, et l'autre le célèbre biologiste (l'homme des grenouilles) qui devint membre de l'Académie française.
Voici l'une des ouvertures circulaires éclairant le grand hall : il s'agit d'un vitrail.
A l'entrée de la villa, un panneau généalogique rassemble les différents membres de la famille.
La première pièce qui se présente à nous est très vaste : il s'agit du hall.
La frise située en haut des murs est l'oeuvre de Gaston Latouche : elle illustre un poème de Victor Hugo intitulé "La fête chez Thérèse" : on sait qu'Edmond Rostand était un grand admirateur du poète.
Un détail ici : au dessus du singe on aperçoit Cyrano de Bergerac !
Merci le guide
Le vitrail du hall vu de l'intérieur
Attenante au grand hall se trouve la Bibliothèque. La pièce est consacrée à l'évocation des acteurs qui ont joué Cyrano.
Deux toiles d’Hélène Dufau représentant des Baigneuses et L’Automne complètent l’allégorie de la nature, sculptée en bas-relief au linteau de la cheminée par Verlet.
L'Automne
Le César que Gérard Depardieu a reçu se trouve dans une vitrine : l'acteur en a fait don à la Villa.
De l'autre côté du grand hall, la Salle à manger des Rostand où a été mise en scène une évocation de Chantecler avec Edmond Rostand en costume d'Académicien présidant le dîner.
Un grand portrait en pied de Rosemonde Gérard par Henri Caro-Delvaille (1904-1906) trône face à l'entrée.
Il y a aussi à cet étage le Bureau Empire, richement ornementé : lambris de merisier incrusté de bronze, plancher marqueté, mobilier “aux cygnes”. Dissimulée dans la paroi-bibliothèque, une porte (à pousser) permet de communiquer avec l’Office.
L'Office : cette pièce tenait lieu d’office entre les cuisines au sous-sol et la salle-à-manger
En limite du plafond une frise en céramique représente les animaux de la basse-cour dont le thème a inspiré Chantecler.
Le vaisselier présente de très belles assiettes toujours aux motifs du poulailler.
L'Office comporte aussi un monte-plats et un tableau d’appel des sonneries de service : signe de la grand modernité de la famille Rostand pour l'époque.
Enfin, au rez-de-chaussée, un Salon chinois dont le plafond est en forme de coupole.
Au-dessus de la cheminée un médaillon : il s'agit d'une laque de Coromandel.
On monte à l'étage en empruntant le Grand escalier à côté duquel se trouve la boutique.
Dans l'escalier, trois médaillons d'Hélène Dufau que je trouve très beaux.
Jeune femme au paon
Jeune femme aux flamands roses
La visite de l'étage étant libre, je commence par la Salle d'hydrothérapie : il s'agit d'une salle de bain aménagée en sauna. Le sol incurvé était recouvert d’une feuillure de plomb permettant lu diffusion de vapeur à travers un plancher à claire-voie.
Encore un signe d'aisance des propriétaires...
Non loin de là, la petite chambre d'Edmond Rostand : c'est une petite pièce où l’écrivain aimait s’isoler pour travailler et dormir. On y trouve une vocation des origines de la famille et des dessins réalisés par le poète lorsqu’il était au collège.
Une très grande baie vitrée donne accès à une vue générale sur le jardin à la française.
Le palier des invités : un espace original
On y trouve différents souvenirs qu'ils ont laissés comme ce carnet écrit par Paul Faure, l'écrivain, un grand ami d'Edmond Rostand.
"J'aperçus Rostand de loin. Il était droit, la moustache au vent, quelque chose de décidé dans sa façon de faire tournoyer sa canne, dans toute son allure. De ce matin-là date le bonheur que j'eus de devenir son ami. Mille choses contribuèrent à former l'affection que Rostand me témoigna, celle que je lui donnai. Sa gentillesse, sa bonté, dont je fus frappé dès les premier instants, me firent l'aimer. Intuitif, il comprit très vite la profondeur de mon attachement et de mon admiration."
ou encore ce buste de l'écrivain
et même un coq en bois sculpté, réalisé par Hélène Uthurry de l'Ecole Boule, très à mon goût.
La Chambre des invités possède un balcon qui donne sur le Jardin anglais à l'arrière de la maison. Le portrait au dessus du lit est celui de Joseph-Albert Tournaire, l'architecte de la Villa.
Nous voici maintenant dans le Boudoir de Rosemonde possédant un décor inspiré de l'Art Nouveau.
Au dessus de la cheminée une pendule qui comprend 14 heures, oeuvre de Henri Vian
Elle illustre l'expression "Chercher midi à quatorze heures". Jean Rostand expliquait aussi que cela permettait d'éconduire les piques assiettes qui voulaient s'incruster pour le déjeuner. Il n'était plus midi...
Le Salon bleu est inspiré de l'antiquité : une fonction de fumoir lui est attribuée.
A noter le superbe parquet composé de trois essences de bois (érable, acajou et chêne clair) qui recouvre le sol des trois salles communicantes.
Près de la fenêtre, un coq...
Cette pièce est la Chambre officielle de l'écrivain. Comme vous le savez déjà, il lui préférait la petite chambre vue précédemment.
On peut y voir sa machine à écrire.
Voici la Chambre de sa femme, Rosemonde, dont le lit est surmonté d'un portrait en pied de la poétesse par Henri Caro-Delvaille.
et sa garde-robe attenante, toute en toile de Jouy (avec un motif inspiré des chinoiseries du XVIIIème siècle)
avec vue sur le Jardin à la française et les montagnes basques à l'horizon
Waouuuuhhhh !
La chambre des enfants (Photo Betty Barlet-Bas)
A l'origine, cette pièce servait de chambre aux deux enfants, Maurice et Jean, avant que l'aîné ne s'installe au deuxième étage. Le décor est d'inspiration Directoire.
C'est sur ce bureau que les enfants ont fait leurs études à la maison : leurs parents, ne voulant pas qu'ils soient internes, faisaient venir les enseignants à la Villa.
La collection de papillons de Jean Rostand y a été reconstituée.
Le Studio des enfants se trouve au rez-de-chaussée.
C'est Georges Delaw (peintre montmartrois réputé pour son univers enchanté et ses caricatures) qui a exécuté les fresques illustrant les chansons traditionnelles françaises comme "Le pont d'Avignon", "Meunier tu dors", "Bon voyage Monsieur Dumollet"...
Nous ressortons de la maison les yeux écarquillés par tant de richesses et d'originalité.
Evidemment, tout ceci demandait beaucoup d'argent mais Edmond Rostand et sa femme pouvaient se le permettre apparemment.
Au sortir de la maison, un petit tour dans le Jardin anglais situé derrière la Villa.
Les azalées commencent leur floraison.
Ici, un hydrangéa
Curieuses et élégantes dalles de pierre
Retour vers le Jardin à la française
Trop beau !
Un dernier regard sur la pergola...
La villa Arnaga a été élue au 6ème rang des "monuments préférés des français 2014".
Merci Josette pour cette bonne idée de visite !