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"Séraphine" de Françoise Cloarec ou la vie rêvée de Séraphine de Senlis

Décidément, en ce moment je suis abonnée aux livres qui parlent de peinture ! Après "La jeune fille à la perle" de Tracy Chevalier (à lire ICI), me voici embarquée dans celle du livre de Françoise CLoarec : Séraphine, que j'ai eu plaisir à lire.

 Séraphine de Senlis

Le livre m'a intéressée car il met en lumière plusieurs personnages, en particulier, plusieurs autres peintres qui ont joué un rôle important dans la vie de cette simple habitante de Senlis au comportement si étrange et au destin pour le moins singulier.

Séraphine de Senlis - ou Séraphine Louis de son vrai nom - est née près de Senlis à Arsy, dans l'Oise en 1865. Orpheline à sept ans, elle est élevée par sa sœur et son mari jusqu'à l'âge de treize ans, date à laquelle elle part travailler chez les autres, comme son père et sa mère. Quelques années plus tard, elle entre en quelque sorte comme sœur converse dans un couvent de la région de Senlis où elle restera pendant vingt ans. C'est là qu'elle s'imprègne de la lumière de Dieu qui va influencer toute sa vie future. Déçue par ses consœurs, elle quitte le couvent en 1902 et trouve du travail rapidement car elle est très courageuse.

C'est en allant à la Cathédrale de Senlis que Séraphine dit avoir entendu la Vierge lui ordonner de peindre : "Séraphine, tu dois te mettre à dessiner !"

Le vaste portail central glorifie la Vierge Marie. Le linteau est consacré en deux scènes à la dormition et à l'assomption. La dormition évoque Marie sur un lit, entourée des apôtres. Son âme est transportée au ciel par les anges. A droite, d'autres anges s'empressent autour d'elle, puis l'emportent : c'est la résurrection.

Séraphine de Senlis

Ne pouvant suivre des cours de dessin - réservés aux jeunes filles des familles aisées - elle va demander conseil au peintre et illustrateur senlisien Charles Hallo, dit Alo, dont les thèmes de prédilection sont les paysages touristiques et les scènes de vénerie.

Il fait vivre sa famille en faisant des affiches pour le chemin de fer français et illustre de nombreux livres de gravure sur bois et sur cuivre. La réponse du peintre est claire : "Prendre des leçons, vous, Séraphine ? Mais vous n'avez pas besoin de leçons."

Le peintre ne lui donnera pas de conseils mais du matériel.

Voici quelques unes des affiches réalisées par Charles Hallo que je découvre, à la lecture de ce livre : un affichiste que j'appréciais beaucoup du temps de mon enfance où il ornait les halls des gares parisiennes pour donner aux gens le goût des voyages.

Chemin de fer de Paris à Orléans : La pêche à la sardine

Séraphine de Senlis

Grasse, côte d'Azur : Cité du calme, des Fleurs et des Parfums

Séraphine de Senlis

Chemin de fer de Paris à Orléans : Concarneau

Séraphine de Senlis

A quarante deux ans, Séraphine commence la peinture.

 Une description de la ville de Senlis et l'influence qu'elle a eue sur la vie de Séraphine suit : si vous voulez visiter cette très jolie ville en images, cliquez ICI. Je l'ai visitée il y a quelques années avec mes copines de randonnée et j'en avais fait un post. C'est vraiment une ville superbe.

C'est au N°1 de la rue du Puits-Tiphaine que Séraphine habite et qu'elle a installé son atelier.

Dès 1906, le passant peut apercevoir sur le rebord de la fenêtre des pinceaux plantés dans un vieux pot à confiture, une palette, des vases abandonnés. Séraphine peint sans relâche dans son appartement-atelier. Le jour, elle fait ses "travaux noirs", en gagnant sa vie comme bonne à tout faire, mais le soir ce sont ses "travaux de couleur".

J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

Même si Séraphine fait parfois sourire les senlisiens par son accoutrement, son histoire secrète, son monde ailleurs, sa façon de vivre, ceux-ci l'aiment bien car c'est la bonté même. Ce sont les commerçants qui la connaissent le mieux, en particulier le droguiste, la maison Duval, chez lequel elle se fournit en Ripolin et en vernis.

En 1912, un homme va traverser et bouleverser sa vie : c'est Whilhelm Uhde, un aristocrate allemand collectionneur de tableaux, personnalité brillante du XXème siècle.

Arrivé en France en 1904, c'est lui qui mettra le pied à l'étrier à Picasso, Braque, Dufy, le Douanier Rousseau, Marie Laurencin...

En 1912, celui-ci éprouve le besoin de quitter la ville pour la campagne et vient s'installer à Senlis où il prend une femme de ménage qu'on lui a recommandé. C'est ainsi qu'il découvre la peinture de Séraphine et qu'il encourage celle-ci à continuer à peindre :

Séraphine n'est plus seule.

Mais la guerre arrive et le regard des gens sur Whilhelm Uhde change : sur le conseil de plusieurs de ses amis, il rentre en Allemagne. Sa collection, en son absence, sera vendue aux enchères à l'Hôtel Drouot...

Pendant ce temps, Séraphine continue à peindre tout en psalmodiant des cantiques à la Vierge, échangeant ses tableaux chez l'épicier, la marchande de quatre saisons, le cordonnier, la crémière, la modiste, et bien sûr Duval, le droguiste !

Quels sont les véritables sujets des toiles de Séraphine ? Les fleurs, les feuilles, les arbres. Des fleurs qui s'apparentent à des plumes, des plumes qui font penser à des lyres, des roses, des dahlias, des boutons-d'or, des buissons ardents, des pommes, des cerises, des lilas.

Il y a du tigré, du moucheté, du velu, du chevelu, du rayé, de l'écailleux, du cachemire, des pois, du bariolé, dans les tableaux de Séraphine. On dirait que ça ondule dans les nervures, que ça vibre dans la ramure, que ça grouille dans les fleurs, dans les arbres, les feuilles, les fruits. Des insectes, des oiseaux, des plumes, faisans, paons, pintades apparaissent, se bousculent. Séraphine fait vibrer les teintes, superpose les couches, les empâtements. Elle se permet tout.

Je ne suis pas fanatique de la peinture de Séraphine de Senlis, un poil trop chargée à mon goût, mais c'est vrai qu'elle est très originale.

Grappe de raisin (1920-1921)

"Séraphine" de Françoise Cloarec ou la vie rêvée de Séraphine de Senlis

 Gerbe de fleurs rouges sur fond bleu (vers 1925)

J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

Fleurs de Paradis (vers 1927)

J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

L'arbre du Paradis (1928-1930)

J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

Les grandes marguerites (vers 1930)

J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

Bouquet de fleurs (vers 1930)

J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

 1927, c'est l'année de l'Exposition des Amis de l'art à Senlis : l'événement mondain est annuel, il réunit les artistes amateurs et professionnels de la région. C'est Albert Guillaume, peintre caricaturiste et peintre de la vie parisienne de la Belle Epoque qui la préside.

Albert Guillaume dans son atelier

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

Je suis allée voir son œuvre sur le net : elle est très abondante et très belle.

Pour le côté caricatures, j'ai retenu :

Une affiche pour l'Exposition Universelle de 1900

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

et cette frise destinée à décorer les murs d'un hôtel.

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

Côté peintures, cette jolie toile : j'adore la transparence de la robe de la dame.

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

et cette jeune femme à sa toilette.

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

Séraphine ne veut pas exposer ses toiles au salon.

Et si c'était pour se moquer de son travail ? Et si on se riait d'elle ? Et si les femmes en noir en profitaient pour les brûler ? Cela ne va-t-il pas fâcher la Vierge ? Et puis, a-t-on le droit d'exposer des tableaux divins dans une Mairie ?

Mais Charles Hallo finit par la convaincre. Elle expose trois tableaux à la gloire de Dieu : Le bouquet de lilas, le cerisier et les ceps de vigne.

Le succès de l'exposition est total : Séraphine est la seule à avoir vendu des toiles, et pour cause..., c'est un certain Wilhelm Uhde qui les achète ! Celui-ci est en effet rentré en France en compagnie de son amant, le peintre Helmut Kolle, dont voici quelques œuvres.

"Autoportrait" - Helmut Kolle (1930)

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

"Homme debout avec son képi" - Helmut Kolle (1926)

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

Portrait d'Anne-Marie Uhde (la sœur de Wilhelm) - Helmut Kolle (entre 1928 et 1931)

"Séraphine" de Françoise Cloarec ou la vie rêvée de Séraphine de Senlis

Mais Paris a changé, le monde de l'art aussi. De  nombreuses galeries se sont ouvertes. Les peintres pauvres ou maudits d'avant-guerre, Matisse, Derain, Dufy, Friesz, Vlaminck, Utrillo, Chagall, Soutine et d'autres encore, sont soutenus et reconnus par les marchands des rues La Boétie et du Faubourg-Saint-Honoré... Une exposition du Douanier Rousseau montre des tableaux qui lui ont presque tous appartenu. Il avait acheté l'un d'entre eux, une femme en robe rouge dans une forêt, pour quarante francs à une blanchisseuse.

Uhde demande le prix au marchand : vous pouvez l'acheter pour trois cent mille francs.

Femme en rouge dans la forêt - Henri Rousseau (1907)

J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

Désormais, Séraphine n'aura plus à faire ses "travaux noirs" pour vivre car Uhde la soutient financièrement afin qu'elle puisse créer librement. Et Séraphine peint deux à trois toiles par semaine. Les marchands d'art commencent à s'intéresser à elle et lui achètent ses toiles si bien que rapidement...

Séraphine est riche, elle achète tout ce qui lui tombe sous la main, achats irrationnels, chers, sans qualité et, il faut bien le dire, d'un goût douteux... Chez elle, s'entassent argenterie, tissus chatoyants, vaisselle coûteuse, vases, bassines de cuivre, lampes, paniers, cadres dorés, objets de toute sorte, ensemble remisés dans la nouvelle pièce que Wilhelm Uhde loue pour elle à côté de son atelier.

Ces acquisitions sont destinées à décorer une future maison, digne d'elle, dont elle sera la propriétaire : plus imposante que toutes celles où elle travailla jadis... Elle y fera de grandioses soirées et invitera tous ses admirateurs.

Est-ce la célébrité qui la grise ?

C'est le début d'une folie qui va conduire Séraphine, qu'on dit atteinte de débilité mentale, à l'asile d'aliénés, en 1932. A partir de cette date et ce jusqu'à son décès en décembre 1942, Séraphine ne peindra plus mais écrira beaucoup de lettres dans lesquelles elle mêlera Dieu, les anges, la Vierge, mais aussi dans lesquelles elle se plaindra beaucoup de souffrir de la faim. Les asiles souffrent beaucoup à cette époque de l'occupation allemande...

Les mots sont tourmentés, ils occupent toute la place comme les fleurs occupaient autrefois toute la toile.

Séraphine sera enterrée dans une fosse commune du carré des indigents au cimetière de Clermont-sur-Oise : elle avait pourtant exprimé, dans ses dernières volontés, le souhait de voir graver sur sa tombe cette mention "Ici repose Séraphine Louis, sans rivale, et attendant la résurrection bienheureuse".

Des interrogations tourmentent : la peinture a-t-elle été thérapeutique pour Séraphine ? A-t-elle retardé un délire grave existant à l'état latent ou, au contraire, l'a-t-elle précipitée dans la psychose ?

Françoise Cloarec, psychanalyste (elle a fait une thèse sur Séraphine de Senlis) et peintre, diplômée de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, tente d'y répondre.

Aujourd'hui, les toiles de Séraphine sont exposées au Centre Pompidou, au musée Mayol à Paris, aux musées d'Art naïf de Nice et au musée d'Art et d'Archéologie de Senlis.

Portrait de Séraphine Louis par le Docteur Gallot qui l'a bien connue - 1969

La bande-annonce du film de Martin Provost (2008)

Le film entre beaucoup plus rapidement dans le vif du sujet mais il reste un superbe film et a d'ailleurs été récompensé par sept "César" dont celui du meilleur film pour son réalisateur et celui de la meilleure actrice pour Yolande Moreau.

Un livre, écrit par une psychanalyste, qui fait le point sur l'art et la personnalité de Séraphine de Senlis.

J'ai bien aimé.

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