Ce lundi 17 juin, je suis allée à une promenade-conférence de la SHA (Société d'Histoire et d'Archéologie) du 13e arrondissement guidée par Madeleine Leveau-Fernandez, historienne spécialiste d'urbanisme et d'histoire sociale, et j'ai découvert avec beaucoup de plaisir une banlieue que je n'imaginais pas.
Il s'agissait de découvrir Arcueil et Cachan, deux banlieues à deux pas de Paris, à travers le chemin de leurs eaux.
Le rendez-vous nous avait été donné à la station Arcueil-Cachan du RER B que j'ai rejointe à partir de la Cité Universitaire : une quinzaine d'adhérents de l'association avaient fait le même choix pour occuper agréablement cette belle après-midi d'été.
J'ai entouré en rouge les communes d'Arcueil et de Cachan, situées au sud de la capitale, que nous avons parcourues.
Nous commençons par passer sous le pont-aqueduc de la Vanne : celui-ci, d'une longueur de 156 km, est l'œuvre de l’ingénieur Eugène Belgrand qui l’a conçu à la demande du baron Haussmann souhaitant faire venir l’eau potable de sites éloignés de Paris afin de garantir une alimentation en eau de qualité avec un débit régulier.
Nous longeons l'aqueduc qui permet l'enjambement de la vallée de la Bièvre : la rue est très calme comme vous pouvez le constater.
Notre conférencière s'arrête de place en place pour nous parler de cet aqueduc qui doit favoriser l’acheminement des eaux des sources de la région de Sens (Yonne), et plus particulièrement de l’un des affluents du fleuve du même nom, la Vanne, jusqu’aux réservoirs d’eau de Paris-Montsouris et de l'Haÿ-les-Roses.
L'aqueduc a été construit entre 1867 et 1874 en pierre meulière.
A cette époque les millepertuis sont en pleine fleur.
Madeleine Leveau-Fernandez nous montre ici un regard en pierre de taille dont la lanterne d'aération a été bouchée : il s'agit d'un regard de l'ancien aqueduc Médicis construit à partir de 1613 afin d'amener à Paris (jusqu'à la maison du Fontainier) les eaux des sources captées à Rungis au sud de Paris. Les regards servent à nettoyer et réparer les canalisations souillées par l'écoulement de l'eau.
Mais pourquoi ce nom d'aqueduc Médicis... ?
L'approvisionnement en eau de la capitale est à cette époque une des préoccupations du règne de Henri IV car la quantité d'eau disponible par habitant reste faible, particulièrement sur la rive gauche (la rive droite est plus gâtée car elle a des fontaines et la pompe de la Samaritaine). Après l'assassinat du roi, la reine mère et régente Marie de Médicis (Louis XIII n'a que huit ans à la mort de son père) reprend le projet de son mari. Elle s'y intéresse d'autant plus qu'elle projette de se faire construire un palais sur la rive gauche, l'actuel Palais du Luxembourg, dont le parc devra s'orner de fontaines et de jeux d'eau.
Vous connaissez sûrement la superbe Fontaine Médicis du jardin du Luxembourg.
Notre conférencière possède un classeur très fourni en documentation et nous explique que les regards qui jalonnent en surface le parcours de l'aqueduc sont des édicules qui permettent un accès réservé à la galerie souterraine, via un escalier. Ils servent, comme leur nom l'indique, à la surveillance et à la maintenance des eaux canalisées.
Elle nous montre ici le tracé des différents regards de l'aqueduc Médicis.
Nous voyons effectivement sur cette photo prise un peu plus en avant de la rue le début de l'aqueduc Médicis. L'ingénieur Belgrand s'est appuyé sur l'existant pour construire le tracé de son aqueduc !
Peu à peu, l'aqueduc Médicis sort de terre.
Vous êtes convaincus ?
Tranquillité tranquillité...
Les maisons construites dans cette rue jouissent d'une paix royale puisque celle-ci se termine par un escalier !
En effet c'est ici que la Bièvre a fait son lit depuis des siècles, dans cette vallée du sud parisien traversée par les deux aqueducs.
En bas des marches, Madeleine Leveau-Fernandez nous montre une ancienne gravure de l'aqueduc : on y voit des maisons qui ont été construites entre les piles et des femmes lavant leur linge dans la rivière.
Autrement dit, à cet endroit coulait la Bièvre. Ou plus exactement ici coule la Bièvre, sauf qu'elle a été recouverte au milieu des années 1950 dans cette partie de la banlieue parisienne.
Continuant à longer les deux aqueducs, nous entendons tout d'un coup des vocalises. Avouez que c'est surprenant au pied d'un aqueduc !
Pas tant que ça puisque ce doux rossignol a laissé ouverte la fenêtre du Conservatoire à rayonnement département du Val de Bièvre qui s'est installé dans le Château des Arcs.
Ce dernier est une demeure de style Renaissance construite en 1548, bien avant la construction de l'aqueduc Médicis qui, on ne pouvait pas le prévoir..., passe au ras de sa façade nord, masquant une partie de cette dernière (ornée de deux statues du XVIe siècle représentant Jupiter et Janus).
Sur la droite, on peut voir l'ancien passage de la Bièvre sous le château.
Au pied de l'aqueduc des bornes qui ont de l'âge...
Il faut faire une visite guidée pour parvenir à voir les marques des tailleurs de pierre. Pour plus de facilité, je les ai entourées en rouge.
Nous venons de traverser l'aqueduc et... découvrons (au-dessus du toit de cette maison contemporaine) les restes des piles d'un autre aqueduc.
Si Belgrand a suivi le tracé de l'aqueduc Médicis, l'architecte de Marie de Médicis, Salomon de Brosse, a suivi lui, le tracé de l'aqueduc gallo-romain (construit à partir du IIe siècle).
On ne change pas une équipe qui gagne !
La cour du Château des Arcs
Le Château tire son nom des arcades de l'aqueduc gallo-romain dont trois piles et une portion d'arc sont englobées dans les maçonneries du château.
Le logis central de cette demeure, construit pendant la Renaissance, connaît de nombreux propriétaires dont les d'Aligre (Claude d'Aligre était "conseiller des menus plaisirs du roi") et Madame de Provigny qui décide de léguer l'ensemble de la propriété au département de la Seine pour y installer un hospice.
A droite, un arbre remarquable, le plus ancien de la commune.
A gauche de la photo, l'entrée du Conservatoire.
La banlieue parisienne et ses petits pavillons individuels à quelques kilomètres de la capitale.
Nous voici maintenant a Arcueil où l'entrée de la ville est joliment fleurie.
Notre conférencière nous montre maintenant une photo des vestiges de l'aqueduc antique découverts en 1997 à Arcueil.
Mais comment ça fonctionne un aqueduc ? (photo documentation guide)
Le canal est constitué d'une base en béton de chaux imperméable en forme de U fermée par un mortier d'étanchéité. L'écoulement de l'eau entraîne la formation de concrétions calcaires qu'il faut régulièrement surveiller. Le tout est recouvert d'une voûte étanche.
Arcueil, c'est aussi Le Pavillon des Sources qui n’est pas l'ancien laboratoire de Marie Curie pour la raison qu'elle n’y a jamais travaillé. Il s’agit d’un ancien lieu de stockage de déchets radioactifs, de 100 m2, aujourd’hui vide, dont la décontamination coûtera 1,8 millions d’euros, soit 20 000 euros du mètre carré, et que l’Institut Curie a prévu de prendre en charge. Les débuts des travaux de décontamination sont prévus le 8 janvier 2024. Nous sommes ici devant ce bâtiment et les travaux semblent avoir pris du retard...
En direction de la Cité-Jardins de l'Aqueduc faisant face à ce grand HBM en voie de rénovation énergétique.
Conceptualisées et testées, en premier lieu, en Angleterre, dans la banlieue de Londres, les cités-jardins avaient pour vocation de décongestionner Paris en créant des agglomérations urbaines à taille humaine construites autour d’un écosystème favorable avec de petits pavillons individuels tout à fait pittoresques, de grands espaces verts, une artère commerçante à l’écart des résidences et tous les équipements nécessaires à la vie de quartier : écoles, crèche, dispensaire, stade, piscine, lieux de culte, théâtre, maison pour tous, …
Commanditée par l’OPHBM de la Seine, la Cité-Jardins a été construite par Maurice Payret-Dortail entre 1921 et 1923 sur une superficie de 10,4 ha. Elle comptait 228 logements individuels organisés autour de place et de clos, un stade, une coopérative alimentaire et un groupe scolaire. Le projet initial prévoyait davantage d’équipements. 145 pavillons ont été détruits dans les années 1980 et remplacés par de petits immeubles. 43 pavillons subsistent et ont été rénovés à la même période. La cité-jardins est aujourd’hui propriété de Valophis Habitat. Située dans le périmètre de l’aqueduc de la Vanne, elle est inscrite au PLU de la ville comme élément patrimonial.
Quand on parle du loup...
Je vous rappelle que nous sommes seulement à quelques km de Paris !
C'est définitivement le Roi de la journée...
Sympathique, ce petit coin de jardin
Et ce "Bac à glaner", une bonne idée de la commune
La nature au cœur de la ville
Nous sommes toujours sur le domaine de la Cité-Jardins.
Madeleine Leveau-Fernandez nous présente ici une gravure représentant l'ancien château d'Arcueil aujourd'hui disparu.
Notre petite randonnée pédestre se poursuit le long de l'aqueduc.
Et voici que nous en apercevons l'extrémité aérienne.
Direction Cachan !
Vous voyez ce que je vois ?
L'Institut Gustave Roussy depuis les vignes de Cachan situées dans la rue de la Citadelle (photo Google Maps).
Pas un trou dans le grillage pour passer l'objectif...
Les premières traces de viticulture datent de l’an 829. Le coteau était alors recouvert
de vignes cultivées par les moines de l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
En l’an 2000, la Ville a décidé de faire revivre le passé viticole de Cachan. 400 pieds de vigne ont été plantés sur une surface de 1 800 m², complétés de 200 pieds supplémentaires en 2016. Vendange, pressage et dégustation de la nouvelle cuvée donnent lieu chaque année à de beaux moments de convivialité avec les Cachanais. Les vignes, entretenues par le service des Espaces verts, sont également un lieu d’atelier pour les enfants des écoles.
Le cortège, constitué d’une calèche transportant le raisin, d’une fanfare et des habitants, descend ensuite du coteau vers le centre-ville en musique, en s’arrêtant au passage devant les maisons de retraite. Arrivé au parc Raspail, le raisin est pressé par les habitants, petits et grands, avant d’être mis en bouteille. La cuvée est ensuite dégustée lors d’une manifestation de la Ville l’année suivante, dans une logique
de production partagée (photo Ville de Cachan).
Ce sentier piétonnier a pour nom "la montée des vignes" : il a été créé en 2020.
Nous, nous allons le descendre : cool !
Une roseraie
Une fleur cultivée...
Une charmante tonnelle à mi-pente, sans doute récupératrice à la montée...
Et des fleurs sauvages...
Quelle bonne idée a eue notre guide de faire le parcours dans ce sens !
Un plan de la commune nous indique ici l'endroit où nous sommes.
On y trouve aussi des renseignements sur le passé de la commune : l'existence de deux bras de la Bièvre, celle des blanchisseuses qui y travaillaient, et celle de l'imprimerie Saintard.
Nous empruntons maintenant justement la Sente des Lavandières qui, si j'ai bien compris, était autrefois le lit de la Bièvre.
Des maisons sans doute écologiques...
Celle-ci est ornée de Passiflores (fleurs de la Passion).
Elles m'ont tapé dans l'objectif !
Celle-ci était même visitée...
Après la Sente des Lavandières, voici le Sentier des Blanchisseries : Cachan a un passé industriel important dans ce domaine.
Le terme "blanchissage" englobe toutes les étapes de traitement du linge sale (coulage ou trempage, lessivage ou savonnage, essorage, séchage et repassage ainsi que des traitements d’apprêt tels que l’amidonnage ou le passage au bleu autrement nommé azurage).
Nous continuons à suivre le cours de la Bièvre recouverte.
La Sente des blanchisseuses est maintenant devenue un éco-pâturage : cette activité ancestrale a été abandonnée au profit des techniques mécaniques et phytosanitaires. Il s'agit de mettre à paître des animaux pour conserver des espaces verts naturels en état sans devoir défricher par l'intermédiaire d'engins mécaniques ou l'utilisation de désherbants puissants qui polluent les sols. Le nombre d'animaux doit être adapté au milieu.
On peut voir ici deux moutons en train de brouter l'herbe.
Deux types d'animaux sont ici présents.
☻ Le mouton de race Solognote, avec une tête fine dépourvue de laine, châtain et dans corne. De taille moyenne, rustique, sa résistance aux maladies, sa capacité d'adaptation aux conditions précaires, sa résistance à tous les temps font d'elle une race bien adaptée à l'éco-pâturage.
☻ Le mouton d'Ouessant, variété insulaire, originaire et endémique de l'île d'Ouessant dans le Finistère. De petite taille, rustique, résistant au froid comme à la chaleur, le mouton d'Ouessant se révèle capable de valoriser les pâturages les plus ingrats. Dépourvu d'agressivité, il vit dans un troupeau hiérarchisé.
Celui-ci a des cornes : serait-ce un mouton d'Ouessant ?
Notre guide-conférencière fait des arrêts fréquents pour nous parler de l'activité des blanchisseries. Celles-ci étaient très nombreuses à Arcueil et à Cachan. Cependant après 1900, l’eau de la Bièvre n’était plus utilisée pour le lavage mais pompée dans la nappe phréatique tandis que les eaux usées étaient encore directement rejetées dans la Bièvre.
Les blanchisseries étaient un emploi principalement féminin qui employait aussi des enfants. Il y avait encore environ 120 blanchisseries à Cachan en 1900 et 20 à Arcueil. Les blanchisseuses se regroupaient autour d’une grande cour pour trier, laver, repasser, et entreposer. Le séchage se faisait à l’étage dans les greniers à claire-voie ou à l’extérieur sur de grandes perches quand le temps le permettait.
A droite, ce qui reste du mur d'une ancienne blanchisserie
La Bièvre, au temps où elle était découverte, était source de beaucoup de pollution (imaginez les eaux de lavage et de rinçage qui y étaient rejetées) et donc de maladies. C'est la raison pour laquelle on a procédé à son recouvrement.
On aperçoit les anciens séchoirs en haut des maisons qui la bordent.
Avouez que ça ne donne pas envie !
Allez, on arrive au bout...
Le sentier des blanchisseries n'en a plus que le nom : il se termine ici, dans la rue Etienne Dolet que nous prenons sur la droite pour rejoindre le centre-ville.
Cette maison qui lui fait face est une réminiscence des séchoirs des anciennes blanchisseries.
C'est ainsi que nous arrivons sur la place Jacques Carat, journaliste et homme politique, ancien maire de Cachan et sénateur du Val-de-Marne (de 1953 à 1998).
Il s'agit d'une très grande place de forme ronde, ornée en son centre d'une fontaine.
La ville a obtenu le label 4 fleurs de "Villes et villages fleuris" et je trouve qu'elle le mérite vraiment.
En route pour la dernière étape de notre promenade
Il n'y a pas UN, ni DEUX, ni TROIS aqueducs à Cachan mais QUATRE !
Celui-ci, l'aqueduc du Loing et du Lunain, a été construit en 1900 pour augmenter le volume d’eau destiné à Paris en exploitant un affluent de la Seine : le Loing et le Lunain (rivières qui se situent en amont de Nemours).
Il s'agit d'un aqueduc avec un pont-siphon qui consiste à faire traverser l'eau dans des tuyaux en plomb sous pression. Par le système des vases communicants, l'eau va remonter de l'autre côté de la vallée. Il existe ainsi d'un côté un réservoir de chasse et de l'autre un réservoir de fuite.
Cliquez sur la photo pour l'agrandir.
La municipalité a très bien su mettre l'aqueduc en valeur en l'accompagnant de part et d'autres par une très jolie végétation.
Passant sous l'aqueduc, nous suivons maintenant le cours de la Bièvre, canalisée et souterraine.
Et voici l'extrémité du pont-aqueduc : j'en ai oublié le nom, donné par Madeleine Leveau-Fernandez...
Si j'ai bien compris (mais je n'en suis pas sûre) nous voyons ici une "fausse Bièvre", celle qui coule à Cachan à l'air libre mais en circuit fermé.
Derrière la grille
Ce panneau posé par la commune montre les zones où la Bièvre a été re-découverte.
"Eaux renaissantes, Berges retrouvées,
Arches, lumières et paysages,
Chemin faisant, ensemble"
Il ne fallait pas se contenter de remettre la rivière à ciel ouvert, encore fallait-il la végétaliser pour restaurer la biodiversité : c'est ainsi que 400 arbres et herbes aquatiques ont été plantés.
Il n'y a pas que les Cachanais qui s'en réjouissent : les pigeons aussi (on dirait bien qu'on les a un peu aidés ici...),
et cette poule d'eau.
La vie animale reprend ainsi...
Cherchez ce canard qui ne voulait pas me regarder : l'abondance de la végétation lui va bien on dirait...
Là se termine cette superbe balade : environ 6 km à pied par un temps de rêve !
Un grand merci à Madeleine Leveau-Fernandez pour l'avoir animée et à Maud Sirois-Belle pour l'avoir organisée.