Ce dernier jeudi, par un temps couvert mais sans pluie, Anne nous a guidés, dans le cadre de son atelier "Marches de 6 km", à la découverte des passages couverts parisiens du XIXe siècle qui se situent majoritairement sur la rive droite. Un petit coup de ligne 7 au départ de la place d'Italie et voici les seize participants arrivés à la station Bourse.
A l'emplacement du couvent des Filles Saint-Thomas, vaste monastère étendu de la rue Saint-Augustin à la rue Feydeau, débute en 1808 la construction de la Bourse des valeurs, sur les plans d'Alexandre-Théodore Brongniart, dont la première pierre est posée par Napoléon Ier.
Nous empruntons tout de suite la rue Vivienne voisine, ancienne voie romaine conduisant à Saint-Denis qui tire son nom de celui de la famille Vivien qui y possédait des terrains. Nous passons devant plusieurs boutiques qui font le commerce de l'or et de l'argent comme celle-ci ouverte depuis 1933.
N'oublions pas que nous sommes tout à côté de la Bourse.
Le premier passage que nous allons emprunter donne dans la rue Saint-Marc : il s'agit du Passage des Panoramas qui permet de circuler à l'abri des intempéries jusqu'au Boulevard Montmartre.
C'est l'un des plus anciens passages de Paris (1799) et même d'Europe. Il tire son nom, comme nous l'explique Anne, de l'existence autrefois de "panoramas" (ou cycloramas) à l'intérieur de deux rotondes de 17 mètres de diamètre sur 7 mètres de haut élevées à son entrée côté boulevard Montmartre (une attraction de l'ingénieur et inventeur américain Robert Fulton).
Le "panorama" était une peinture à 360 degrés de grande dimension, dont la production s'est étendue essentiellement entre la toute fin du XVIIIe siècle et le début du XXe, développée sur le mur intérieur d'une rotonde et donnant l'illusion de la réalité par des effets de perspective et de trompe-l'œil.
Les deux rotondes situées à l'entrée du passage des Panoramas (Paris, vers 1820, musée Carnavalet)
S'y déployaient des toiles peintes figurant des vues de Paris, Toulon, Rome, Jérusalem et d'autres grandes villes célèbres. Malgré la disparition de ces panoramas en 1831, le passage demeura longtemps un des lieux favoris de promenade des parisiens. Premier lieu de la capitale doté, dès 1817, de l'éclairage au gaz il possédait une foule de boutiques de luxe : Le café Véron, la pâtisserie Félix, la confiserie "A la duchesse de Courlande", le papetier Susse, et le graveur Stern dont le magasin existe encore.
Du lèche-vitrines, en veux tu en voilà dans le passage des Panoramas... Anne n'a pas fini d'attendre les retardataires !
Le French Paradox vante les bienfaits du canard et du champagne contre le cholestérol !
Cet autre restaurant est installé dans un wagon de train reconstitué : original !
(Photo Monick)
Nous traversons le boulevard Montmartre pour rejoindre, juste en face, le Passage Jouffroy qui se trouve logé dans un Grand Hôtel, anciennement Hôtel Ronceray (datant du début du XIXe, il était la destination privilégiée de Rossini quand il séjournait à Paris) et désormais Best Western Hôtel Ronceray.
Voici une vue de l'intérieur...
Revenons à nos moutons...
Dans ce type de passage couvert, on rencontre parfois de drôles de bêtes...
Il s'agit de la boutique d'un marchand de parapluies et cannes.
Des cannes, oui, mais des cannes haut-de-gamme !
Au bout du passage, l'Hôtel Chopin porte ce nom en hommage au compositeur qui appréciait en son temps le passage. Ouvert en 1846, année de construction du passage Jouffroy, c'est une véritable oasis de calme dit-on, aucune chambre ne donnant sur la rue, mais plutôt sur les toits de Paris.
Il jouxte l'entrée au musée Grévin, connu dans le monde entier comme Madame Tussauds à Londres pour ses personnages en cire toujours d'actualité.
Un rapide passage dans le passage Verdeau, construit en 1847 et faisant communiquer la rue de la Grange-Batelière avec le faubourg-Montmartre.
Une photo seulement ? J'ai été avare...
Nous voici donc rue du Faubourg-Montmartre avec cette chocolaterie fondée en 1761, La mère de famille, actuellement tenue par la toute la famille Dolfi.
Aux commandes le chef chocolatier Sébastien Hérault qui réalise une large palette de douceurs telles que : bonbons de chocolat, tablettes, pâtes à tartiner, moulages... selon un savoir-faire ancestral.
Anne coucoune toujours ses ouailles : elle prévoit toujours un "arrêt technique" au milieu de la balade. Ici, ce sera à la mairie du 9ème, l'occasion de rentrer dans la grande cour.
Dans l'allée qui accède au bâtiment principal, des photos de tous les espaces végétalisés de l'arrondissement.
Le passage des Princes, inauguré en 1860, relie la rue de Richelieu au boulevard des Italiens. Il tire son nom de l'emplacement d'un ancien hôtel du même nom. Il est le dernier passage couvert ouvert à Paris au XIXe siècle.
Il possède une superbe verrière ornementée d'élégants lampadaires.
Au bout, une très jolie coupole en verre coloré.
Il est pratiquement entièrement occupé par la chaîne de magasins Jouéclub.
Sur le boulevard des Italiens, une jolie construction : celle du Centorial, siège central du Crédit Lyonnais. L'immeuble est construit dans le style d'Haussmann et des expositions universelles, dans le but d'impressionner les clients et les investisseurs. La tradition veut que ce style ait été choisi afin de pouvoir reconvertir le bâtiment en grand magasin en cas de faillite de la banque. Le pavillon central de la banque est inspiré du pavillon de l'Horloge du palais du Louvre, le toit de celui du pavillon de Flore.
L'habillage en pierre, symbole traditionnel de richesse, dissimule une charpente métallique, réalisée en partie par les établissements de Gustave Eiffel.
Le passage Choiseul prend dans la rue Saint-Augustin. C'est le plus long des passages couverts parisiens avec une longueur de 190 mètres pour une largeur de 3,7 mètres. Jacques Offenbach entrait par le numéro 73 du passage pour se rendre dans son théâtre des Bouffes parisiens.
A l'entrée, une grosse horloge indique l'heure de notre passage.
Le passage consiste en une enfilade d'arcades sur pilastres au niveau du rez-de-chaussée. Ce dernier et l'entresol sont occupés en majorité par des boutiques tandis que le premier et second étages sont plutôt résidentiels.
Ce sont des vrais !
Il est recouvert d'une verrière qui fut remplacée vers 1907. Celle-ci a fait l'objet de plusieurs campagnes de rénovation-restauration entre 2012 et 2019 par l'architecte Jean Frédéric Gervet qui ont permis au passage Choiseul de retrouver une meilleur qualité architecturale grâce à la restitution de sa verrière, ses deux marquises situées aux extrémités du passage, son sol et son éclairage.
La mère de Louis-Ferdinand Céline tenait au numéro 67 du passage un fonds "d'objets de curiosité". L'écrivain raconte son enfance ici dans "Mort à crédit"..
A la sortie sur la rue des petits-Champs, une belle verrière
J'ai remarqué au numéro 38 de la même rue un superbe encadrement de porte cochère en pierre sculptée.
Extraordinaire, non ?
Chemin faisant, nous voici arrivés à l'entrée de la Galerie Colbert, inaugurée en 1827. Elle tire son nom de l'ancien Hôtel Bautru (l'un des favoris de Richelieu) construit par le très jeune architecte Le Vau et acheté en 1665 par l'Intendant des finances et Surintendant des bâtiments du Roi, Jean-Baptiste Colbert, à la recherche d'un logement à la hauteur de ses fonctions.
Dans la première moitié du XIXe siècle, le quartier devient un des lieux privilégiés d'implantation des passages couverts. L'architecte Jacques Billaud reçoit pour mission de concevoir un ensemble susceptible de rivaliser avec la Galerie Vivienne ouverte en 1825. Pour cela, il conservera en partie l'Hôtel Colbert notamment la façade, à laquelle il ajoute un étage et un portique. La Galerie Colbert ouvrira en 1828 mais ne connaîtra pas le succès de sa voisine...
Sous Louis-Philippe, un magasin de nouveautés appelé "Au Grand Colbert" ouvre ses portes. Le nom sera conservé jusqu'en 1900 où il est transformé en restaurant. (photo Monick)
Et encore une verrière...
En vue de la rotonde
Au centre, une statue de Charles-François Leboeuf dit "Nanteuil" représentant Eurydice mourante ou Eurydice piquée par un serpent (bronze fondu pour remplacer le marbre exécuté à la Villa Médicis dans les jardins du Palais-Royal)
"Eurydice épousa Orphée mais leur joie fut brève. La noce à peine achevée, comme la jeune épouse marchait avec ses demoiselles d'honneur dans une prairie, une vipère la mordit au pied et elle mourut. La douleur d'Orphée fut accablante, il décida de se rendre dans le royaume des morts pour tenter d'en arracher Eurydice." Apollonius de Rhodes (295-215) Les Argonautiques
Superbe !
Et voici la fameuse Galerie Vivienne qui relie la rue du même nom à la rue des Petits-Champs par un angle droit. Elle est la propriété de l'Institut de France, Académie des Beaux-Arts.
Dans ses Mémoires, Hector Berlioz donne un récit saisissant de l'atmosphère enivrée des journées de juillet 1830. Il raconte en détail une exécution spontanée de la Marseillaise, qu'il venait d'arranger pour chœur et orchestre, par un petit groupe qu'il menait, avec la participation de la foule entassée dans la Galerie Vivienne.
" Il faut se figurer que la galerie qui aboutissait à la rue Vivienne était pleine, que ces quatre ou cinq mille voix étaient entassées dans un lieu sonore fermé à droite et à gauche par les cloisons en planches des boutiques, en haut par des vitraux, et en bas par des dalles retentissantes, il faut penser, en outre, que la plupart des chanteurs, hommes, femmes et enfants palpitaient encore de l'émotion du combat de la veille, et l'on imaginera peut-être quel fut l'effet de ce foudroyant refrain... Pour moi, sans métaphore, je tombai à terre, et notre petite troupe, épouvantée de l'explosion, fut frappée d'un mutisme absolu comme les oiseaux après un éclat de tonnerre."
La Marseillaise d'Hector Berlioz
La galerie est effectivement pavée de mosaïques d'époque, œuvres du célèbre mosaïste français d'origine italienne, Facchina, qui a aussi décoré l'Opéra Garnier et le Printemps Haussmann.
Il s'agit d'un luxueux passage couvert construit en 1823 selon les plans de l'architecte François-Jean Delannoy qui conçoit un décor de style pompéien. Celui-ci désirait assurer une liaison avec les jardins du Palais-Royal et leurs galeries très animées. La galerie, de 176 mètres de long, est inscrite aux monuments historiques depuis 1974. Il faut savoir qu'au début du XXe siècle la démolition pure et simple de la galerie, laissée à l'abandon, était envisagée...
On peut y voir d'élégantes vitrines...
La grande galerie pourvue d'une verrière est longue de 42 mètres. En 1970, Kenzo y fit son premier défilé et l'arrivée de Jean-Paul Gauthier en 1986 la consacra définitivement comme un haut lieu de la mode parisienne.
Les travaux de restauration récents ont permis de réhabiliter les caducées, ancres et cornes d'abondance qui ornent les fenêtres en demi-lunes.
J'ai cru comprendre que les déesses et les nymphes qui décorent l'avant rotonde représentaient les saisons.
Voici l'été et l'automne
La coupole vitrée s'effondra en 1961 lors de travaux de réparation...
Dernière verrière, rectangulaire celle-ci
L'entrée de la rue des Petits-Champs est ornée de caryatides : pour nous ce sera la sortie !
Le Passage des deux Pavillons permet de rejoindre les jardins du Palais-Royal.
Les colonnes du Palais-Royal
Le jardin est fermé pour cause de grève dans le public : ah, ces fonctionnaires, toujours à râler ! Je suis bien placée pour en parler...
Jolis reflets malgré un temps maussade
Le circuit préparé par Anne s'arrête au métro Palais-Royal.
Merci, Anne, pour cette agréable promenade historique qui était, comme toujours, très bien organisée. J'ai 6108 mètres au compteur, ça c'est de l'exactitude !