Ce matin, nous sommes allés faire une visite guidée du Cimetière de l'Est, autrement dit le cimetière du Père-Lachaise (*), visite proposée par le Ministère de la Culture dans le cadre de la deuxième édition de "A vous de lire". Thierry Le Roi, l'homme qui réanime les cimetières comme on a coutume de l'appeler, nous a emmené pour 3 heures et demie de promenade sur les traces des grands écrivains inhumés dans ce cimetière.
(*) François d'Aix de la Chaise (1624-1702), confesseur de Louis XIV aime en effet à l'époque se promener dans le parc que possède l'ordre des Jésuites auquel il appartient.
Un peu d'histoire
(vous le savez, je suis une passionnée...)
Alexandre Théodore Brongniart (l'homme du Palais) en est l'architecte et Napoléon 1er le commenditaire. Le cimetière est inauguré le 21 mai 1804 avec l'enterrement d'une fillette de 5 ans, Adélaïde Paillard de Villeneuve, fille d'un modeste porte-sonnette du Faubourg Saint-Antoine (site internet "Les métiers de nos ancêtres" : dans les villes, employé de police qui signalait à l'aide d'une clochette l'heure de balayer et nettoyer les rues aux habitants.). Le cimetière, conçu à l'origine pour les arrondissements de la rive droite, est situé hors les murs et les parisiens rechignent à se faire enterrer dans ce quartier réputé populaire, ce qui fait qu'ils le boudent pendant des années. Ce n'est qu'à partir de 1817, après le transfert des dépouilles d'Héloïse et Abélard ainsi que de Molière et de La Fontaine, que les parisiens commencent à y enterrer leurs morts : alors qu'en 1812, il n'y avait qu'un petit millier de sépultures, en 1830, on dénombre 33.000 tombes et à l'heure actuelle, on se bat presque pour y être enterré : il faut compter 11.000 euros pour une concession perpétuelle de seulement 2m² (hors frais d'obsèques naturellement !)
69.000 monuments funéraires sont répartis sur 44 hectares : le Père Lachaise constitue le plus grand jardin de Paris hormis le bois de Vincennes et le bois de Boulogne. C'est vrai qu'il fait bon y flâner et que beaucoup de gens y viennent sans y avoir de sépulture.
Avec Philippe, nous formons un tandem de choc : tandis qu'il prend des photos des tombes, je manie le crayon et le calepin !
Notre premier rendez-vous est avec Marcel Proust (85ème division - J11).
La croix des templiers apposée sur sa tombe indique que son père et son frère étaient médecins. L'auteur de "A la recherche du temps perdu " obtient le Prix Goncourt en 1919 pour son roman "A l'ombre des jeunes filles en fleurs". Atteint d'asthme dès son enfance, il décèdera à 51 ans et on trouve parfois sur la tombe de Marcel Proust un inhalateur : ce n'était pas le cas ce jour-là...
La tombe de Balzac (1799 - 1850) est située dans la 48ème division (1ère ligne Q9). Elle est surmontée d'un buste, une sculpture de David d'Angers fort expressive dont l'original se trouve au Musée Balzac à Passy. Un livre et une plume à la base du monument rappellent l'activité de l'auteur de la Comédie Humaine. A l'origine Alexandre Dumas, ami de Balzac, souhaitait faire ériger un monument mettant à l'honneur "La Comédie Humaine", ce roman de Balzac mettant en scène plusieurs milliers de personnages et dans lequel il parle du cimetière du Père Lachaise, mais la Comtesse Hanska, l'épouse de Balzac, y préféra l'actuel monument qui a été classé.
Contemporain de Balzac, Gérard de Nerval (1808 - 1855) est enterré dans la 49ème division (1ère ligne). Sa tombe est constituée d'une colonne surmontée d'un vase drapé. Sans vouloir réduire Gérard de Nerval à une anecdote... celle-ci est tout de même très cocasse : un jour, on le surprend dans les jardins du Palais Royal, traînant un homard vivant au bout d'un ruban bleu ! A ses amis qui s'étonnaient il répliqua : en quoi un homard est-il plus ridicule qu'un chien, qu'un chat, qu'une gazelle, qu'un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre : j'ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n'aboient pas...
Le baiser
J’ai soif d’un baiser
Comme une ville qui s’allume
Et que le vent vient d’embraser.
Tout mon coeur brûle et se consume
J’ai soif, oh, j’ai soif d’un baiser !
Baiser de la bouche et des lèvres
Où notre amour vient se poser
Plein de délices et de fièvre.
Ah, j’ai soif, j’ai soif d’un baiser !
Baiser multiplié que l’homme
Ne pourra jamais épuiser.
Oh toi, que tout mon être nomme,
J’ai soif, oui, j’ai soif d’un baiser !
Fruit doux où la lèvre s’amuse
Beau fruit qui rit de s’écraser.
Qu’il se donne où qu’il se refuse
Je veux vivre pour ce baiser.
Baiser d’amour qui règne et sonne
Au cœur battant se briser,
Qu’il se donne où qu’il se refuse
Je veux mourir de ce baiser.
Gérard de Nerval se suicida (probablement) : son corps fut retrouvé pendu un matin d'hiver à une grille de la rue de la vieille lanterne, aujourd'hui disparue (à l'emplacement de l'actuel square de la tour Saint-Jacques).
Chemin faisant, nous arrivons à la sépulture d'Auguste Maquet : un illustre inconnu, me direz-vous ! Celui dont il a été le nègre et qui lui a volé la vedette, c'est Alexandre Dumas... Eh oui : le premier jet des Trois Mousquetaires, de Vingt ans après, du Vicomte de Bragelone ou encore du Comte de Monte Cristo, est de Maquet, Dumas ne faisant que réécrire, parfois presque à l'identique, ces feuilletons que réclamaient les lecteurs de la presse quotidienne et qui les incitaient le lendemain à racheter le journal !
Celui-ci, intentera d'ailleurs un procès à Alexandre Dumas réclamant la paternité de ses oeuvres mais il le perdra et ne sera dédommagé que par une coquette somme toutefois.
La tombe d'Auguste Maquet (1813 - 1888) est située dans la 54ème division (1ère ligne S 10). La tombe d'Alexandre Dumas se trouve, elle, au Panthéon...
Sully Prudhomme : Premier écrivain à recevoir le Prix Nobel de littérature en 1901.
Né en 1839 et décédé en 1907, il repose dans la 44ème division (1ère ligne N 13). Sa sépulture, lontemps abandonnée, a été restaureé récemment et contient un cadre renfermant l'un de ses poèmes.
Les yeux
Bleux ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux
Et le soleil se lève encore.
Les nuits plus douces que les jours
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours
Et les yeux se sont remplis d'ombre.
Oh ! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n'es pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible ;
Et comme les astres penchants,
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent :
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore.
Guillaume Apollinaire est inhumé dans la 86ème division. Le créateur du surréalisme est né en 1880 à Rome. Engagé volontaire, il est blessé pendant la grande guerre mais c'est de la grippe espagnole qu'il décède en 1918.
Il est l'auteur du recueil de poèmes "Calligrammes". Un calligramme est d'ailleurs gravé sur sa tombe sous forme de tessons : mon coeur pareil à une flamme renversée.
Nous arrivons maintenant à une tombe très courue : c'est celle d'Oscar Wilde. Né à Dublin en 1854, cet écrivain anglais écrit de la poésie, des pièces de théâtre qui sont parfois censurées et donne des conférences sur le thème de l'esthétisme.
Il est aussi célèbre pour ses citations percutantes : il répond à un douannier "moi, je n'ai rien à déclarer, sinon mon génie !"
Marié pour les convenances, il ne cache pas son homosexualité. Mis à l'écart par l'angleterre puritaine, il meurt en 1900 à Paris dans un hôtel situé dans le quartier de Saint-Germain des Prés et dénommé "l'Hôtel". Laissant au propriétaire une note impayée, il décrète : je meurs au dessus de mes moyens !
Il est inhumé au cimetière de Bagneux dans l'indifférence générale et ce n'est que 12 ans plus tard qu'un mécène fait transporter ses cendres au cimetière du Père Lachaise et lui fait ériger une tombe (89ème division) qui fait scandale à l'époque : un sphinx ailé y est représenté nu et est très vite mutilé...
La tradition veut que ses adoratrices embrassent la tombe : le visage du sphinx ne résistera peut-être pas très longtemps aux lavages au Karcher qui s'ensuivent...
Les monuments à Molière et à La Fontaine (25ème division) ont été érigés en 1817 pour promouvoir le site auprès des parisiens : ce sont leurs restes supposés qui sont enterrés ici. En effet, Jean Baptiste Poquelin est décédé en 1673 et La Fontaine en 1695.
Sur la tombe de La Fontaine, des bronzes évoquent certaines de ses fables
comme ici "le loup et l'agneau".
Au passage, nous longeons le mur des fédérés qui commémore les événements de la Commune de Paris et qui fête cette année son 140ème anniversaire. Un hommage à Goya y a été fait sous forme de la reproduction de l'une de ses toiles : "Fusillades à la montagne du Prince Pio - 3 mai 1814".
C'est dans ce secteur que se trouve la sépulture de Jean-Baptiste Clément ((Division 76 2ème ligne C 35) , chansonnier montmartrois et communard, auteur de la célèbre chanson "Le Temps des cerises". Son enterrement au Père Lachaise attire une foule évaluée à près de 5000 personnes.
Paul Eluard est inhumé dans la 97ème division (1ère ligne). Né en 1895, il décède en 1902 d'une crise cardiaque. Sa tombe est très végétale. Après des problèmes matrimoniaux concernant son premier mariage avec Gala (qui épousera Dali ensuite), il part faire le tour du monde et écrit des poèmes d'amour comme "Je t'aime" qu'il dédicacera plus tard à son troisième grand amour, Dominique.
Je t'aime
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce coeur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
Les cendres de Beaumarchais (1732 - 1799), elles, furent transférées au Père Lachaise dans la division 28 (1ère ligne Q33) après la vente et la destruction de sa maison (où il reposait dans le jardin). La tombe de ce touche à tout, tout à la fois auteur dramatique, musicien, agent secret, courtisan et surtout grand séducteur, est très simple.
La chèvre de Monsieur Seguin a disparu de la tombe d'Alphonse Daudet... Comme bon nombre de souvenirs évoquant les hommes et les femmes célèbres du cimetière, l'emblème de cet ancien maître d'école, secrétaire du Duc de Morny, puis écrivain de sa Provence natale (il est né à Nimes en 1840) a été volé. Daudet décède à Paris 57 ans plus tard et repose dans la 26ème division du cimetière. Le monument, réalisé par Falguière, est peu visible de face : le sculpteur l'a donc orné d'un médaillon cerné de lauriers à l'arrière gauche, ce qui permet aux initiés de ne pas le manquer !
Une tombe sobre, en forme de totem maya, pour Miguel Angel Asturias, l'écrivain guatémaltais né en 1899, ancien ambassadeur à Paris, Prix Lénine de la Paix en 1966 et Prix Nobel de littérature en 1967. La sépulture est située dans la 10ème division du cimetière.
Un bond dans le temps pour retrouver la tombe d'Alfred de Musset (1810 - 1857) qui se trouve en 1ère ligne de la 4ème division. Sur le monument sont gravés les titres de certaines de ses oeuvres, pas toujours les plus connues... : Lorenzaccio (oui ça je connais bien sûr !), Frédéric et Bernerette (inconnu au bataillon), Mardoche (idem), Namouna (idem), Les Nuits (oui !).
Selon sa volonté, un saule a été planté sur sa tombe (il est régulièrement renouvelé pour ne pas prendre trop d'ampleur) et une épitaphe y a été gravée, issue de l'un de ses poèmes : Lucie.
Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J'aime son feuillage éploré.
La pâleur m'en est douce et chère
Et son ombre sera légère
A la terre où je dormirai.
Colette de Jouvenel, dite Colette, est née en 1873. Cest l'une des personalités les plus courues de la nécropole. Elle repose le long de l'avenue circulaire à la 1ère ligne de la 4ème division. Sa tombe est très sobre. Le scandale de son baiser à Missy au Moulin Rouge dans le spectacle "Rêve d'Egypte" lui octroie une publicité qu'elle n'imaginait pas. Un bon mot de cette femme de lettres : "la mort ne m'intéresse pas, la mienne non plus !" Paris lui offre en 1954 des obsèques nationales (les seules octroyées à une femme à nos jours), son cercueil étant exposé dans la cour d'honneur des jardins du Palais Royal.
Dernière étape de cette promenade : le mausolée à Héloïse et Abélard (7ème division AD25). Encore un transfert de cendres pour redorer le blason du cimetière du Père Lachaise. Héloïse a 15 ans, est est jolie comme une fleur et intelligente de surcroît quand elle tombe amoureuse d'Abélard de 31 ans son aîné. Leur liaison pourtant brève conduit pourtant à la naissance d'un fils nommé Astrolabe qui deviendra évêque de Nantes. Malgré un mariage secret des deux amants destiné à calmer les foudres de l'oncle d'Héloïse, Fulbert, chanoine à Notre Dame de Paris, Abélard enjoint tout de même Héloïse de rejoindre le couvent d'Argenteuil comme soeur converse. Lui-même n'échappe pas à un triste sort : il est émasculé de force par la famille d'Héloïse avide de vengeance...
3 heures et demie après et avec quelques kilomètres dans les talons, nous rejoignons tout contents la terrasse ensoleillée d'un café pour déjeuner...
On ne peut pas se nourrir que de littérature !