Décidément, Jacqueline m'étonne de plus en plus. Commander plusieurs mois en avance le soleil et l'avoir le jour de la randonnée alors que la semaine était complètement pourrie : moi je dis Chapeau !
C'est à des petits détails comme ça qu'on reconnait les pros.
C'est donc le coeur léger que nous prenons le train le matin en gare Montparnasse : direction Rambouillet où nous devons aller nous promener dans le parc du Château.
Eh oui... Le château est en travaux pour encore un bout de temps (on nous a dit qu'ils espéraient à nouveau pouvoir le faire visiter en septembre prochain). 1000 m² de toiture à changer...
Seule la tour, datant du XIVème siècle, mais bien remaniée, est visible en ce moment.
Avouez qu'une fois débâché il aura de l'allure.
Plusieurs canaux parcourent le parc formant sept petites îles.
Des myriades de perce-neiges fleurissent les sous-bois.
Ce cerf s'est-il échappé de la forêt avoisinante... ?
Le repos de Diane après la chasse...
Nous voici arrivés en vue de la Laiterie de la Reine.
Mais de quelle Reine s'agit-il donc...?
De la dernière, Marie-Antoinette, qui s'ennuyait sec quand son royal époux était à la chasse. Louis XVI, très amoureux de sa femme, lui fit construire une "fabrique" dans le parc du château, dans laquelle elle pourrait venir en compagnie de ses copines goûter aux plaisirs de la campagne : un certain Jean-Jacques Rousseau prônait bien avant les écologistes d'Antoine Waechter... le retour à la nature !
L'architecte du Roi, Jacques-Jean Thévenin, donna à cette laiterie et à ses jardins la forme d'une montgolfière, tout ce qui touche à l'invention des frères Montgolfier étant très à la mode à cette époque... même les toilettes des dames !
La "coquette physicienne"
Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlandes s'étaient en effet fait remarquer peu de temps avant en réalisant le premier vol humain depuis le château de la Muette à Paris jusqu'à la Butte aux Cailles, trente minutes d'un vol historique. Pour info, Pilâtre de Rozier se crasha deux ans plus tard lors d'un vol d'essai de la traversée de la Manche...
La laiterie est constituée par deux bâtiments, précédés par deux petites tours, qui se font face donnant accès à un bâtiment de style néoclassique.
Depuis Google Earth
La maison du gardien précède l'écurie : la Reine, bonne cavalière (elle montait aussi bien en amazone qu'à califourchon) et n'aimant pas trop les calèches, y attachait-elle son cheval... ? Sans doute.
La coupe de fruits et la table ont un peu vieilli mais l'ambiance est là.
Dans cet espace, se trouvaient veaux, vaches, cochons, couvées... qui pouvaient se désaltérer un peu plus loin dans les bassins prévus à cet effet.
Si le château fut acheté par le Roi au Duc de Penthièvre, son cousin, sur ses fonds propres, cette laiterie fut édifiée dans le plus grand secret pour ne pas alerter sur le manque d'argent, qui était déjà important en 1785. Plus tard, la laiterie fut réaménagée et utilisée par Napoléon.
C'est une espèce de temple grec, où l'on goûte le lait et les fromages de la ferme tout en papotant.
Petit zoom...
Quand on entre dans la laiterie, on est ébloui par la beauté de la pièce en forme de rotonde. Au centre, une table ronde en marbre, touche de décoration personnelle apportée par Napoléon Ier (le carrelage du sol est également dû à l'Empereur).
La pièce est très astucieusement éclairée par une lumière zénithale provenant du plafond.
Sur les murs, quatre superbes bas-reliefs dus à Pierre Julien (1731-1804), un élève de Guillaume Coustou (l'architecte des chevaux de Marly). Cet artiste avait récemment fait un tabac au salon de 1785 pour son Jean de la Fontaine.
La traite des vaches
La tonte des moutons
La fabrication du beurre
La distribution du sel (image Yaka Watch photographe)
Notre guide nous présente des photos du service de porcelaine de Sèvres utilisé par Marie-Antoinette pour sa laiterie.
Le pot à lait à anses de chèvre
Les tasses pour boire le lait ornées de petites chèvres
Le bol-sein est conservé à la Manufacture de Sèvres.
On l'a dit (mais c'est une fausse rumeur) moulé sur le sein de la Reine...
Un seau à lait orné de têtes de béliers. On parlait à l'époque de "tinette".
Toute la vaisselle était répertoriée et devait être installée sur la table (autrefois en bois d'acajou) par les suivantes de la Reine selon un agencement dicté par ce schéma : à chaque numéro son objet.
Le mobilier lui aussi portait des touches champêtres, telle cette table en acajou d'un seul bloc,
ou ce fauteuil trianon orné dans sa partie basse d'un médaillon à tête de bélier.
Ayant fait le tour de cette pièce (on peut le dire : il s'agit d'une rotonde...), notre guide nous ouvre la porte d'accès à la deuxième salle.
et là, c'est la surprise et l'émerveillement devant cette grotte abritant une statue de la nymphe Amalthée accompagnée d'une chèvre.
Il s'agit de la chèvre qui allaita Zeus enfant, aidée par des abeilles (se chargeant de nourrir le dieu avec du miel). Zeus l'honora ensuite en la plaçant comme constellation dans le ciel (voir constellation du Capricorne), ou encore comme la plus grande des étoiles du Cocher. La chèvre s'étant cassé une corne, Zeus l'offrit à Amalthée, en lui promettant que cette corne se remplirait miraculeusement de fleurs et de fruits : c'est l'origine de la corne d'abondance.
A l'origine, la fontaine était alimentée en eau. Celle-ci jaillissait de ces "bouches". On y mettait le lait à rafraîchir...
De chaque côté de la grotte, deux immenses bas-reliefs, toujours de Pierre Julien. Ces frises s'étalant sur plus de 3 mètres, et l'artiste n'ayant pas de plaques d'une telle dimension à sa disposition, il va les réaliser respectivement en trois et en deux morceaux, en ayant accès au marbre le plus pur qui soit.
Le premier représente l'enfant Zeus au milieu des Corybantes.
Ces divinités tutélaires crétoises, dont les prêtres de Cybèle devaient prendre le nom, avaient, dit-on, chanté autour du berceau de Zeus pour couvrir de leurs voix les vagissements du nouveau-né et empêcher Cronos, son père, de venir le dévorer.
Détail central : Zeus tétant Amalthée
Détail des Corybantes dansant au son des tambourins
Détail de droite
La deuxième représente un Apollon berger gardant les troupeaux d'Admète.
Le dieu, momentanément chassé de l'Olympe pour avoir tué les cyclopes, devait se mettre au service d'un mortel pendant un an entier. Utilisé comme bouvier, Apollon fit prospérer miraculeusement le troupeau d'Admète tout le temps qu'il s'en occupa : toutes les génisses mettaient bas deux veaux en une seule portée et les loups se tenaient éloignés du troupeau comme par magie.
Cliquer sur l'image.
A la sortie de la grotte, encore un médaillon de Pierre Julien
Cliquer pour mieux voir...
En vérité, Marie-Antoinette ne mettra que très peu les pieds dans cette laiterie : son ultime passage est signalé en 1788, à l'occasion d'une chasse.
Ces oeuvres d'art ont eu une histoire plus que mouvementée.
Partis à la Malmaison sur ordre de Joséphine de Beauharnais pour y orner un petit théâtre, ils partiront par la suite en Angleterre (suite à la liquidation des collections de Joséphine par Eugène de Beauharnais - sa mère ayant beaucoup de dettes...) pour revenir à Paris dans un premier temps puis filer en Suisse... avant de réintégrer leur place originelle dans la laiterie en 2003 seulement.
Nous nous rendons ensuite, toujours en parcourant le jardin anglais, en direction de la Chaumière aux coquillages.
Annie elle aussi a repéré ce charmant petit pont.
Tout comme la laiterie, la chaumière n'est ouverte à la visite que sur rendez-vous.
Ça tombe bien : Jacqueline l'a réservée. Notre guide nous fait remarquer sur les murs de curieuses protubérances : ce sont des os de bœuf placés là en raison de l'environnement aquatique du lieu. Ils sont là pour absorber l'humidité des murs.
Cette autre "fabrique" a été commandée en 1779 par le Duc de Penthièvre pour la princesse de Lamballe, sa belle-fille.
J'ai un peu raté mes photos de l'intérieur mais celle-ci rend tout de même compte de la richesse des décorations : murs et plafond, tout est absolument recouvert de nacre, de marbre et de coquillages divers et variés.
Unique en Europe !
La chaumière était meublée à l'époque car il s'agissait, tout comme la laiterie, d'un lieu destiné à se réunir entre femmes pour papoter.
Même la rosace du plafonnier est faite de coquillages !
La variété de ceux-ci est immense.
Notre guide nous a fait remarquer que les moules fixées grâce à une pointe sont les moules d'origine tandis que celles qui ont été remplacées lors de la restauration ont été collées (on risque moins de les casser ainsi...).
Attenant à la pièce principale, un petit cabinet de toilette permettait à ces dames de se repoudrer et de se parfumer...
A la grande époque deux automates s'animaient et sortaient des armoires en proposant des porte-parfums mais lors de la guerre de 1870 leur mécanisme fut endommagé. On dit aussi qu'ils ont été volés...
Pour finir cette belle journée,
un petit tour en forêt
Encore des perce-neiges
Petit arrêt à l'église Saint-Germain d'Auxerre de Gazeran
où l'on peut voir une étrange statue : c'est celle de Saint-Gilles avec sa biche (le patron des chasseurs avant Saint-Hubert). Enfin, pour reconnaître une biche il faut avoir les yeux de la foi !
Joli ce château mais entouré de grillages
Retour par le parc du Château
Eh oui... il est encapuchonné.
Merci beaucoup à toi Jacqueline pour cette belle idée de promenade.