Hier après-midi, je suis allée visiter en compagnie de mon amie Danielle le Musée Mendjisky-Ecoles de Paris qui vient d'ouvrir dans le 15ème. Le musée, de style Art Déco, est abrité dans un ancien atelier d'artiste construit par l'architecte franco-belge Robert Mallet-Stevens en 1932. Il est situé au 15 du Square de Vergennes et donne dans la rue de Vaugirard.
Pour votre gouverne, le nom du square a été donné en hommage à Charles Gravier de Vergennes, Ministre des Affaires Etrangères sous Louis XVI (pendant la guerre d'indépendance américaine).
Beaucoup de charme s'en dégage grâce à l'existence de petites maisons couvertes de végétation et bien à l'abri du tumulte de la rue de Vaugirard.
Le bout de l'impasse
L'atelier a été construit pour le maître verrier Louis Barillet, qui y reste jusque dans les années soixante. Laissé inoccupé, il se détériore rapidement avant d’être sauvé par un industriel passionné, Yvon Poullain, qui décide de le restaurer en 2001.
L'existence de l'immense verrière de 100 m²constitue un écrin de choix pour les oeuvres exposées.
Le long vitrail de la façade fait office d'enseigne au vitrailliste. Aux différents étages correspond une ville emblématique : Chartres pour le vitrail, personnifié par un souffleur de verre, Ravenne pour la mosaïque, incarnée par l'Impératrice Théodora, et Athènes et l'art occidental par la Déesse Athéna.
Hommage à Ravenne
Les vitraux sont non seulement découpés pour souligner des motifs figuratifs mais aussi associés de façon à tromper la monotonie : certains sont unis, d'autres travaillés en stries, d'autres encore en vagues, transparents, grisés ou noirs et c'est du plus bel effet.
Entrons !
Créé par Patricia et Serge Mendjizky, le Musée Mendjizky-Ecoles de Paris a vocation à conserver, protéger, et mettre en valeur des oeuvres des artistes des deux Ecoles de Paris. La première Ecole de Paris fait référence aux nombreux artistes étrangers, souvent originaires d'Europe centrale, qui gagnent la capitale pour se fixer dans le quartier Montparnasse. Quant à la deuxième Ecole de Paris, elle regroupe les artistes abstraits et figuratifs, qui ont contribué de 1945 à 1960 à faire de Paris la plaque tournante de l'art avant que ce rayonnement ne faiblisse au profit de New-York.
Pour ce qui est de la première Ecole de Paris, on y compte Chagall, Picasso, Soutine, Modigliani et Foujita pour ne citer que les plus célèbres. Quant à la deuxième Ecole de Paris, elle verra, entre autres, naître le talent de Pierre Alechinsky et de Bernard Buffet.
Maurice Mendjizky dont l'oeuvre est exposée actuellement appartient à la première Ecole de Paris. Il est né à Lodz en Pologne en 1890 et, attiré très jeune par la peinture, monte à Paris à l'âge de 17 ans où il étudie à l'Ecole des Beaux-Arts avec Fernand Cormon, maître de Matisse.
Le rez-de-chaussée présente une série de paysages du midi de la France : en effet, invité chez Renoir aux Colettes, il y découvre les paysages méditerranéens.
Paysage fauve à Saint-Paul de Vence
Paysage provençal animé (il y a deux tout petits personnages en bas à droite...)
Les garrigues
Paysage arboré
Paysage provençal
Au sous-sol, sont accrochés des tableaux de nus ainsi que des natures mortes florales. Vous remarquerez que, grâce à l'architecture de verre du bâtiment, même ce sous-sol bénéficie de l'éclairage de la lumière du jour.
On peut y admirer le portrait de la fameuse Kiki de Montparnasse qui fait l'affiche de l'exposition (un petit air d'Edward Hopper, non ?). Maurice Mendjizky fût le premier artiste à en tomber amoureux : il avait 31 ans et partagera sa vie pendant 3 ans jusqu'à ce qu'elle tombe dans les bras de Man Ray (le mufle...). C'est à la suite de cette rupture qu'il retournera dans le midi. J'ai appris que le surnom de "Kiki" lui venait justement de cette liaison avec Maurice Mendjizky. Foujita, arrivé du Japon en 1922, n'arrivait pas à dire Madame Mendjizky : il disait "Sky" (qui s'est transformé en Kiki)...
Kiki - 1921
Il faut que je vous dise une "coquille" que j'ai relevée dans un récent article de parismatch.com : dans sa chronique intitulée "Un petit musée ignoré par les foules ?" datée du 15 avril dernier, la journaliste, Catherine Schwaab, rédactrice en chef à Paris-Match, voulant parler de cette fameuse Kiki (que Picasso a certes connue), la nomme Kiki Picasso. Dans le doute, je consulte mon ami internet qui me confirme que ce nom de Kiki Picasso n'a rien a voir à l'affaire : Kiki Picasso est le pseudo de Christian Chapiron, graphiste de BD des années 70... L'erreur est humaine mais quand même, pour une rédactrice en chef !
Malgré tout, cet article a le mérite d'exister.
Nu - 1911
Nu de Kiki au drapé rouge
Je n'ai pris qu'une seule photo de nature morte (qui ne constitue pas, visiblement, son sujet favori) et je vous la mets même si elle n'est pas top à cause des reflets...
Ce tableau d'une Brit Mila-circonsision date de 1920 : il rappelle les origines juives du peintre.
Sur le palier qui conduit aux étages, un très beau vitrail de Louis Barillet représente l'histoire de Psyché.
Pour en savoir plus sur cette passionnate histoire... cliquez ICI.
La jeune femme est représentée en costume d'Eve...
Sur ce même palier se trouve une mosaïque de sol empruntée au thème de la nature. L'édifice construit par Mallet-Stevens est ainsi "une oeuvre d'Art Totale" (une oeuvre qui se caractérise par l'utilisation simultanée de nombreux médiums et disciplines artistiques, et par la portée symbolique, philosophique ou métaphysique qu'elle détient). Cette utilisation vient du désir de refléter l’unité de la vie.
Un ascenseur nous conduit au deuxième étage. Celui-ci possède une mezzanine qui surplombe l'étage inférieur : dans ce musée les espaces sont largement ouverts.
Ce deuxième étage et sa mezzanine sont essentiellement consacrés à un hommage du peintre aux martyrs et aux combattants du Ghetto de Varsovie.
C'est dans la dernière période de sa vie que Maurice Mendjizky entreprend son œuvre testament : un recueil de 31 dessins à l'encre préfacés par un poème de Paul Eluard.
Un petit air de Chagall...
Il dédie ce recueil à son fils Claude, fusillé en tant que résistant deux semaines avant la libération. Maurice Mendjizky ne s'en remettra jamais.
Dany, en compagnie de laquelle je visite le musée, éclaire de son sourire cette salle pleine de la tristesse, du désarroi et de l'horreur qu'on vécu les habitants de cette ville polonaise pendant la guerre.
Pas de jaloux...
Une autre mosaïque de sol, toujours sur le thème de la nature, nous indique que nous avons changé d'étage. Sont-ce des loups qui attaquent ce sanglier ?
Le premier étage regroupe quelques peintures familiales. Lors de son premier séjour à Saint-Paul de Vence, Maurice Mendjizky rencontre Rose qui a 18 ans. Il l'épouse l'année suivante et de cette union naîtront deux fils : l'aîné, Claude, dont j'ai déjà parlé, est né en 1924 et Serge, le cadet qui est peintre, a actuellement 85 ans.
La sieste - 1930
Rose et Serge, Madame et son fils - 1931
Il y a aussi à cet étage un tableau de Jacques Prévert qui n'épargne pas le poète mais qui est fidèle aux photographies que l'on en peut connaître, avec la cigarette aux lèvres.
Je ne sais pas qui était cette jolie dame que le peintre a croquée en 1942...
Un autoportrait peint en 1930
La boucle est bouclée !
Il n'y avait pas eu d'exposition de l’œuvre de Maurice Mendjizky depuis 60 ans et les dessins du Ghetto de Varsovie n'avaient jamais été présentés au public : cet oubli est heureusement réparé grâce à Patricia et Serge Mendjizky ici photographiés à Saint-Paul de Vence.
Tableau de Serge Mendjizky : collages à partir de photographies - 2003
L'exposition dure jusqu'au 12 juillet prochain.
Je vous conseille très fortement d'y aller rapidement pour profiter pleinement des tableaux en toute tranquillité : nous étions pratiquement les seules visiteuses... mais je pense que cela ne va pas durer car ce musée est vraiment magnifique et ça va se savoir !
Par la suite, le Musée accueillera d'autres expositions mettant en scène cette fois-ci d'autres artistes de l'Ecole de Paris : deux étages seront réservés au fonds permanent et deux autres étages aux expositions temporaires.
Je suis vraiment ravie d'avoir découvert ce peintre et ce nouveau musée.