Aujourd'hui, nous sommes allés passer la journée à Troyes.
Après un petit restau fort sympa dans lequel nous nous sommes délectés d'une cuisse de canard confite, nous voici en plein cœur du Bouchon de Champagne : c'est ainsi qu'on nomme le centre de Troyes du fait de sa forme et de sa localisation.
Notre intention est de visiter la Cité du Vitrail, qui a été rénovée en 2022 et qui est installée dans l'ancien hôtel-Dieu de la ville. L'Hôtel-Dieu-le-Comte est ainsi nommé car il a été fondé - en 1157 - par une donation d'Henri Ier dit le Libéral, Comte de Champagne.
Administré par les religieuses de l'ordre de Saint-Augustin, il aura pour vocation d'accueillir, selon les siècles, les pauvres, les malades, les indigents, les femmes en couche, ou même les nouveau-nés abandonnés.
En voici l'entrée principale : la grille monumentale en fer forgé et doré, posée en 1760 assied le caractère prestigieux de l’édifice.
L'entrée du public se fait par cet autre portail.
Nous commençons par la visite de l'apothicairerie voisine qui a été aménagée au début du XVIIIe siècle et qui, restée en l'état, offre un très beau témoignage de la pharmacopée d'antan. Les religieuses et les apothicaires y entraient pour prendre les ingrédients nécessaires à la fabrication des remèdes qu'ils préparaient dans le laboratoire contigu pour les malades de l'hôpital.
L'apothicairerie de Troyes est l'une des plus belles de France. Elle comporte deux salles, la salle de stockage (ci-dessous) et la salle de préparation.
Dans la première, un grand escalier sur roulettes permet d'accéder aux boîtes peintes - ou silènes - qui servaient à conserver les "simples", c'est à dire les plantes médicinales.
Des panonceaux donnent toutes les explications nécessaires.
Cette collection de 319 boîtes est unique en France.
L’Apothicairerie compte également des pots en faïence rustique (pour la plupart de Nevers) du XVIIIe siècle, sobrement décorés de guirlandes de feuillages et de fleurs bleues, comportant chevrettes, pots-canons, piluliers ou bouteilles.
Ce grand vase en étain date du XVIIe siècle : il pouvait contenir soit de l'eau utilisée pour les besoins du laboratoire soit de l'eau thériacale (composée de sirop, de miel, de vin, de pulpes végétales, y compris de la chair de vipère). Le tout, bien mélangé, donnait un liquide qui servait de panacée pour tout soigner.
La Thériaque, remède universel
La formule en aurait été mise au point par le médecin de l'empereur Néron, Andromaque l'ancien, vers 60 ap J.-C. Réputée soigner tous les maux, son utilisation perdure jusqu'à la Révolution française. Elle se compose de plus de 70 ingrédients dont une large dose de chair de vipère et d'opium.
Gravure sur bois datant de 1505 représentant la préparation de la thériaque
Cette pièce, voisine de la précédente, était le laboratoire (il n'en reste aucun mobilier). Dans cet espace d'une soixantaine de m² des remèdes étaient encore préparés jusqu’en 1961. Il accueille aujourd’hui une présentation renouvelée sur le travail de l'apothicaire et un nouvel espace de médiation « Apothicaires en herbe ».
Les remèdes des apothicaires proviennent des trois règnes :
► Le règne végétal produit les "simples" comme l'angélique l'aubépine, l'opium ou encore la rose de Provins,
► Le règne animal produit le cachalot, la corne de cert, la cire d'abeille, l'urine de chameau ou même la poudre de crâne humain.
► Le règne minéral utilise l'or ou les pierres précieuses.
On voit dans cette vitrine, derrière les pots en faïence, un dessin du laboratoire d'antan qui était équipé de fourneaux et dont la cheminée était munie d'un tournebroche.
On y voit aussi une maquette d'une apothicairerie du XIXème siècle, réalisée par un collectionneur de la première moitié du XXème siècle.
Tout ceci n'a rien à voir avec le but premier de notre visite bien sûr : on attaque maintenant l'essentiel du sujet avec 5 étages de vitraux à visiter, en commençant par le haut (il est possible, soit de monter par l'escalier ci-dessous, soit de prendre l'ascenseur).
Nous voici donc sous les combles et pouvons admirer la belle charpente en bois.
A l'entrée, des vitraux anciens (vers 1524) : ils représentent une crucifixion entre deux donateurs, représentés agenouillés devant leur prie-Dieu les mains jointes en prière selon les codes en vigueur au XVIe siècle. Le couple commanda ces vitraux pour l'oratoire privé de leur hôtel particulier situé au centre de Troyes, l'Hôtel Juvénal des Ursins.
Un document d'archives rare
Voici un contrat du marché signé entre les peintres verriers troyens et le clergé de Sens. Les moindres détails sont précisés : le prix et les échéances de paiement, le choix et la provenance des matériaux, les délais accordés ou encore le choix d'autres intervenants comme le peintre du "patron".
Au verso, des vitraux modernes : ce sont des détails (fac-simile) de ceux de la chapelle Sainte-Catherine située sur le flanc sud de la cathédrale de Strasbourg. Ils ont tout récemment été commandés à l'artiste vitrailliste Véronique Ellena.
Une image du "vitrail du Millénaire" (XIVe et XXIe siècles) in situ : cela me donne bien envie d'aller à Strasbourg...
Ici un exemple de décoration à base de verre coloré : très joli, je trouve.
Les outils du peintre sur vitrail
Les pinceaux
► Le "petit bois" (bâtonnet de bois permettant de faire entrer la lumière dans le dessin en enlevant partiellement la grisaille avant cuisson),
► Le putois (brosse ronde à poils durs avec une extrémité plate donnant un aspect granuleux au vitrail),
► Le trainard (en poils très longs de martre ou de "petit-gris" (écureuil) : pour exécuter des lignes très fines à l'aide d'un apuie-main),
► Le blaireau (pour faire des dégradés de couleurs).
Les pigments
► La grisaille (existant depuis le Ve siècle : elle est composée essentiellement d'oxydes de fer),
► Le jaune d'argent (apparu autour de 1300 : poudre d'argent pur mélangée à de l'œuf battu),
► Les émaux (apparus au XVe siècle, ils se développent surtout au XVIIe : poudre de verre coloré mélangé à de l'eau ou à de l'essence, la couleur variant selon l'oxyde métallique).
Au fond, un atelier a été reconstitué et un film tourne en boucle expliquant les différentes étapes de la fabrication des vitraux.
On peut voir aussi dans cette salle comment les verriers parviennent à réparer des vitraux endommagés : ceux-ci sont ceux de la cathédrale de Sens.
Nous trouvons également des informations sur le sens de certains gestes comme ici celui de cette jeune femme levant les deux mains vers le ciel, paumes ouverte, doigts joints qui marque un signe de prière. On parle d'un orant, je crois ?
Ceci n'est bien sûr qu'un aperçu de tout ce que nous avons admiré au 5e étage, étage que nous quittons maintenant en empruntant l'escalier en bois décoré dans sa partie centrale de bouteilles en verre coloré.
Juste pour la beauté...
Autre petit bijou, ce vitrail daté de 1621 et d'une taille très modeste : la scène rapporte la visite d'Henri IV à Troyes en 1595. Celui-ci y reçoit un cœur d'or à la Maison de la Ville, symbole de l'attachement de la ville à son roi.
La foule est massée devant l'Hôtel de Ville, paré pour l'occasion d'une tribune de bois. A gauche, on reconnaît la fameuse "Belle Croix", réalisée en métal doré par le sculpteur Nicolas Halins et aujourd'hui disparue. Cette sculpture avait la réputation de faire des miracles. Elle fut la première œuvre d'art troyenne à être détruite en 1792 par les révolutionnaires. Cette scène, peinte à la façon d'une miniature, illustre les effets virtuoses permis par la technique de l'émail. Posés sur la face externe du verre, des rehauts de lavis apportent de subtils effets de profondeur.
Au XIXe siècle, les vitraux reviennent à la mode.
Une vraie mise en scène pour celui-ci datant de 1874, une œuvre de Henri de Faucigny-Lucinge qui devait probablement orner le cabinet d'un collectionneur.
Ce buveur attablé reprend les codes de la peinture de genre hollandaise : le sujet populaire, le rictus légèrement sarcastique, le vêtement, le travail de peinture en camaïeu de bruns... Le modèle de la flûte de champagne est même imité des verres hollandais du XVIIe siècle.
Les rois mages suivant l'étoile (1845) - Louis Germain Vincent-Larcher
Avec ce vitrail, Vincent-Larcher met en place sa démarche de restaurateur. Il le présente en 1845 devant une commission chargée d'évaluer les compétences de celui à qui l'on confiera la restauration des vitraux de la cathédrale de Troyes. Adoptant une démarche "archéologique", il copie le plus fidèlement possible l'original médiéval et met au point une "patine". Cette couche peinte sur toute la surface opacifie le verre pour le rendre proche des vitaux anciens. Malgré des critiques formulées sur le style et les couleurs, le peintre se voit confier le chantier.
Changement d'étage...
La Galerie des vitraux
Cette ancienne salle de malades a conservé ses volumes d’origine et bénéficie d’un éclairage naturel abondant. Elle accueille des vitraux de provenances et datations diverses, présentés en une déambulation esthétique et offerts à la contemplation du visiteur.
Pas de panonceaux dans cette salle mais un petit guide à prendre à l'accueil pour s'y repérer...
Arbre de Jessé - Eglise Saint-Pierre-ès-Liens - Laines-aux-Bois (1510-1520)
Restauré en 1957 par Jean-Jacques Gruber (Nancy)
La vitesse - Jacques Simon (1928)
Quel contraste entre ces deux vitraux et pourtant la technique est la même !
A gauche, une œuvre de Kehinde Wiley intitulée "Lamentation". Je pense qu'il s'agit d'une sorte de "Vierge à l'Enfant", non ? Grâce à l'artiste afro-américain l'homme noir n'est plus invisible dans l'art et il est même replacé au cœur de l'histoire.
A droite, Les Rois Mages (1380-1390) - Peintre-verrier : Hermann de Munster
(Vitraux de l'église Sainte-Ségolène de Metz)
Coloquintes et nymphéas (1905) - Jacques Gruber
En 1905, Jacques Gruber est au sommet de sa réputation de maître-verrier. Il a mis au point des techniques et un vocabulaire artistiques qui lui sont propres et qui font le succès de ses créations.
Ce vitrail, commandé pour la résidence de Paul Luc à Nancy était intégré à une cloison ouverte dans le salon de l'habitation. Les nymphéas de la partie basse se retrouvent sur plusieurs autres verrières conservées en collections privées ou publiques. Les coloquintes de la partie haute en revanche, suivent un dessin original.
Joli, non ?
Paravent Grande Canopée (2014) - Jean-Paul Agosti
(verre gravé à l'acide et émaux - prêt de l'artiste)
Jean-Paul Agosti puise son inspiration dans la nature, les arbres, les jardins, qu'il observe, photographie et dont il transcrit dans son œuvre peinte les jeux de lumière et les couleurs subtiles.
Changement d'étage : je ne m'en lasse pas...
Le premier, c'est l'étage de l'exposition temporaire des œuvres de Francis Chigot, maître-verrier à Limoges (1879-1960) en collaboration étroite avec le peintre cartonnier Léon Jouhaux. Nous voici là en plein Art nouveau : un monde de lumières qui donne de l'importance aux figures féminines et à la nature.
Jusqu'au tournant de la deuxième guerre mondiale, le fonctionnement de l'atelier est assurée par une production courante, bien que luxueuse, destinée à orner les riches demeures. Le vitrail gagne plafond et cages d'escalier, baies et portes, vérandas et jardins d'hiver.
Voici le vitrail qui fait l'affiche de l'exposition : L'émaillerie limousine (1908).
Il s'agit d'une allégorie de l'Email sous la forme d'une jeune femme décorant un vase. Derrière elle se devine la rivière de la Vienne et la ville de Limoges, dominée par sa cathédrale.
Le chêne au bord de l'eau (1914)
Les baigneuses (avant 1920)
Perroquet (vers 1920)
Ce vitrail devait orner une demeure privée.
Berger et ses moutons (?)
Nous voici à nouveau au rez-de-chaussée : la visite de la Cité du Vitrail se continue par celle de la Chapelle de l'ancien Hôtel-Dieu.
Dans la Sacristie, deux statues
L'une représente un Christ aux liens, iconographie répandue en Champagne au XVIe siècle. Celle-ci, copiée sur une statue ancienne et réduite à une échelle plus petite, date de 1860. La Vierge à l'Enfant, elle, provient sans doute de la grande campagne de décoration et d'ameublement de la Chapelle entre 1864 et 1868.
Dans les bras de sa mère, l'Enfant Jésus porte la sphère représentant l'entièreté du monde et une rose, symbole de son sacrifice à venir.
La Chapelle a conservé son décor peint et son ameublement des années 1860. La messe y était célébrée quotidiennement pour les religieuses et les malades
Un vitrail datant de 1866 représente la fondation de l’Hôtel-Dieu par Henri Ier le Libéral.
De chaque côté de la baie vitrée, des sculptures en trompe-l'œil
L’oculus de la chapelle accueille depuis septembre 2021 une création de l’artiste peintre, Fabienne Verdier, de renommée internationale, exécuté avec la Manufacture Vincent-Petit (Troyes).
Cette œuvre abstraite en grisaille et jaune d’argent rend hommage aux techniques du vitrail au XVIe siècle dans l’Aube et entre en résonance avec les grisailles peintes en trompe-l’œil sur les murs de la chapelle. Il s'agit d'un don de l'artiste à la Cité du Vitrail.
Un joli plafond...
Une belle visite !
A renouveler peut-être, qui sait avec Louis une prochaine année : les expositions tournent en permanence.