J'ai vu ce soir un très beau film documentaire à la Maison des Cultures du Monde (à côté de l'Alliance Française sur le boulevard Raspail). Un petit coup de vélo par cette belle fin d'après-midi et me voilà sur place. Le 30ème festival du cinéma ethographique Jean Rouch s'y tient du 5 au 27 novembre : il faut en profiter car les séances sont gratuites : je crois que je vous ai déjà dit que j'adorais Paris... Je persiste et signe !
Il s'agit du dernier film de François Sculier "La main de Dieu ou la queue du renard" qui retrace le séjour dans l'un des villages du Péloponèse (Makistos) sinistrés par les incendies de l'été 2007 du réalisateur, parti seul avec sa caméra au poing sans parler la langue du pays... François Sculier, malgré ce handicap majeur dans la communication, arrive à faire parler la population grâce à l'utilisation de sa caméra et à une très grande discrétion, nous livrant très sobrement les émotions de ces gens qui ont tout perdu dans ces incendies : leur maison, leurs troupeaux, leurs vignes ou leurs oliviers et même... une partie de leur famille : ces incendires ont fait près de 70 morts...
Il dit : "Entre mes deux voyages dans le Péloponèse, il y a eu le feu. J'avais découvert un monde de paix et de vestiges anciens et je retrouve un pays en ruines. Au milieu des oliviers calcinés, je rencontre parmi les habitants qui sont restés là, un vieux paysan, un jeune berger et sa famille. Mais nous ne parlons pas la même langue."
Un film très fort qui a été reçu très chaleureusement par la critique lors de sa sortie en 2010. "Comme rarement en documentaire, nous rions aux côtés des témoins, de l'ignorance ou de la maladresse du documentariste dans une position assumée d'autodérision. Une structure originale qui apporte une légèrenté souvent rare en documentaire et qui met en valeur la dimension humaniste du film" (Laurine Estrade, Critikat).
De grands noms du cinéma ont aussi soutenu ce film comme
Costa-Gavras
"merci pour ces images fortes et inoubliables pour moi. La tragédie qui a frappé la terre du Péloponèse et ses hommes est présente à chaque image. Leur lutte pour la survie l'est aussi. J'ai découvert des personnages de mon enfance. Leurs peines et leur union avec la terre, amie fidèle, aimante et mère nourricière de toujours. Cela a été une belle émotion."
ou Hannah Schygulla
"Voilà un témoignage d'une originalité humble et sincère, un regard attentif où les personnages, frappés par la catastrophe gardent toute leur dignité. Françoise Sculier a réalisé ce film, seul et sans interprète, animé par l'envie d'apporter aux humains qu'il rencontre, courage et foi en la vie. Une forte leçon pour nous, les spectateurs, et un véritable geste de fraternité."
Entre le 24 et le 26 août 2007, plus de cent cinquante départs de feux ont été recensés dans le sud de la Grèce et la presse grecque titrait sur une catastrophe nationale. Regardez la carte aérienne des foyers d'incendie prise à cette date...
Les maires de la dizaine de communes touchées par le feu n'ont cessé de réclamer pendant l'incendie l'aide de moyens aériens et de nombreux résidents se sont plaints d'être abandonnés seuls face au feu par les pompiers, dénonçant des secours tardifs et mal coordonnés. Les hypothèses sur l'origine de ces feux sont multiples et invérifiables... Le réalisateur du film ne prend pas parti : il se contente de choisir pour son film un titre amusant : ne serait-ce pas la queue d'un renard enflammée qui aurait mis le feu à tout le Péloponèse ou bien est-ce plus simplement la main de Dieu ?
La carte aérienne des foyers d'incendie
François Sculier s'imprègne de la catastrophe avant de commencer son reportage.
Dans le village incendié, deux habitants travaillent à reconstruire...
Au printemps suivant, six mois après l'incendie, il retrouve les mêmes "personnages" qui commencent à connaître et à apprécier le français (qui semble tant s'intéresser à leur vie passée et actuelle...).
Puis, il revient une troisième fois sur les lieux du sinistre mais cette fois-ci accompagné d'une interprète : curieusement, Yannis le berger, qui regrettait tant de ne pas pouvoir mieux communiquer avec le réalisateur, a du mal à trouver ses mots pour lui expliquer enfin ce qu'il ressent...
Un caractère bien trempé !
Enfin, François Sculier fait un ultime voyage à Makistos (professionnellement parlant je pense...) pour présenter son film à la population qui a été si coopérative avec lui et le succès est grand : plus de 250 personnes assistent à sa projection sur la place du village !
Une belle récompense !
Signe d'espoir, les oliviers qui recouvraient les collines environnantes semblent vouloir repartir. Les troncs brûlés ayant été coupés, des branches repoussent tout autour. Certes, il n'y aura pas de récolte avant cinq ans et il faudra encore attendre dix ans pour que les rendements soient équivalents aux bonnes années, mais pour l'instant la plupart des habitants peuvent faire face grâce à leur retraite. « Un olivier n'en finit jamais de renaître », explique Georgios Kossifas en bon connaisseur. « Dans tous les cas, on peut sauver quelque chose. Pour la vigne, c'est pareil. La nature a la vie dure ! »
(Reportage Agnès Rotivel de La Croix)
Un documentaire qui sort des sentiers battus
Vous pouvez encore profiter de ce festival jusqu'au 27 novembre prochain : ça coûte pas cher et... ça peut rapporter gros !