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Cette conférence (qui a eu lieu la semaine dernière en live) était gratuite et présentée par Eric Montmaud, historien et conférencier national.
Il s'agit de la découverte de la Florence des Médicis, une cité alors à l’apogée de sa puissance et de sa splendeur.
Au début du Quattrocento (XVe siècle), en effet, une famille patricienne s’impose sur la scène économique et politique florentine : celle des Médicis. Sous la conduite de ces derniers, en quelques décennies seulement, une véritable révolution culturelle s’accomplit : peinture, sculpture, esthétique, urbanisme et morale sont repensés et remodelés pour donner naissance à un art nouveau. La Renaissance commence. Sous le patronage de ces grands mécènes, et notamment du plus célèbre d’entre eux, Laurent le Magnifique, Florence voit éclore une génération de génies exceptionnels, des artistes visionnaires tels Ghiberti, Brunelleschi, Masaccio, Ghirlandaio, Uccello et Michel-Ange, qui font de la Florence des Médicis le cœur battant de la modernité !
Eric Montmaud va nous présenter un panorama de l'art et de la ville de Florence au "Grand XVe siècle", c'est-à-dire le début de la prise du pouvoir par les Médicis jusqu'à la mort de Laurent le Magnifique en 1492.
Cette photo actuelle est très représentative de la Florence du XVe siècle. Mise à part la petite coupole (Grande Chapelle des Princes : tombeaux des Médicis du XVIe siècle) située entre les deux campaniles, rien n'a changé ici.
Cette carte a été gravée à Amsterdam en 1558. Elle représente l'était florentin à la fin du XVe siècle, peu ou prou à la mort de Laurent le Magnifique avant la conquête de Sienne par Cosme Ier au XVIe siècle. Florence est située au centre, sur l'Arno.
Une autre gravure en couleurs (Nuremberg - 1493) - La Florence du XVe siècle
On y voit tous les monuments dont on a déjà parlé : la Cathédrale, le Campanile, le Palazzo Vecchio ainsi que les fortifications de la ville et le Ponte Vecchio (pas encore tout à fait recouvert de boutiques tel qu'il l'est aujourd'hui).
A la fin du XVe siècle, Florence compte entre 70.000 et 125.000 habitants. La richesse de la ville est basée sur le commerce des tissus (les florentins vont acheter de la laine et des draps en Flandres et les ramènent à Florence pour les traiter, les teindre et les revendre avec une grosse plus-value). Autour de ce commerce, se développe à cette époque une très forte activité bancaire. A la fin du XVe siècle, on pourrait dire que la ville de Florence a le PIB équivalent à celui du royaume d'Angleterre !
A Florence, règne à cette époque le système de la Commune libre : les autorités municipales sont issues des commerçants de la ville (les couches sociales les plus favorisées).
A partir des XIIIe - XIVe siècles, plusieurs familles vont exercer une influence sur ces autorités municipales.
Averado est le premier des Médicis à revêtir une charge municipale à Florence au milieu du XIVe siècle. Il appartient à une famille qui n'est pas de Florence mais plutôt du nord de Florence et dont la richesse est foncière, agricole.
A la fin des années 1300, c'est Giovanni (Jean) qui va être à l'origine de la banque Médicis, celui qui va initier l'activité bancaire qui sera à la base de la fortune de la célèbre famille.
Jean de Médicis (1360 - 1429) - Peinture du XVIIe siècle
Giovanni de Médicis est bien vu dans Florence où il est assez habile - étant riche et le reconnaissant - pour dire qu'il veut être taxé. Il considère qu'à Florence l'impôt est mal réparti, incombe trop aux classes laborieuses et moins aux les classes dirigeantes. En clair, il veut faire un impôt sur la fortune. Il crée ainsi un cadastre qui met à jour la fortune foncière de chacun des florentins.
Son fils, Cosme l'Ancien, va lui succéder au tout début du XVe siècle. Il va profiter de la fortune que son père lui a laissé mais il a aussi un sens politique très important, ne sollicitant jamais aucune charge municipale mais attendant plutôt qu'on vienne la lui proposer.
Cosme l'Ancien (1389 - 1464) - Peinture du XVIIe siècle
Malgré tout, la municipalité florentine considérant qu'il prend trop de place sur le plan politique, va lui faire un mauvais procès en détournement de fonds et le condamner à mort. Sa condamnation va être commuée en exil en 1433 : il va alors aller à Venise. Au bout d'un an, Cosme rentre à Florence en 1434.
Le retour de Cosme l'Ancien - Giorgio Vasari (Palazzo Vecchio)
Toute la population florentine est venue accueillir Cosme l'Ancien. On lui confère alors le titre de "Père de la Patrie", titre que l'on donnait aussi aux empereurs romains. A partir de cette date, il est un "Prince sans couronne", ne mettant jamais les pieds au palais municipal mais étant à l'origine de 99,9% de toutes les décisions prises concernant la municipalité.
Cosme aura un fils, Pierre le Goutteux, mais la famille va arriver véritablement à son apogée avec Laurent le Magnifique, son petit-fils. Ce dernier va réaliser tout ce que son grand-père n'a pu réaliser et dont il rêvait. Il s'entoure tout de suite d'intellectuels et d'artistes tels que Michel-Ange (à droite sur la fresque). Il va hélas mourir jeune.
Laurent le Magnifique (1449 - 1492) - fresque du XVIIe siècle
A la mort de Laurent le Magnifique, son fils Pierre va être chassé de Florence et il faudra attendre longtemps avant que la famille des Médicis parvienne à s'y installer à nouveau.
Vue actuelle de ce que la ville ancienne pouvait être au XVe siècle
La Cathédrale Santa Maria del Fiore dont on aperçoit la coupole derrière et le baptistère, avec la Porte du Paradis, un des grands moments de la sculpture florentine du XVe siècle.
La Coupole de la Cathédrale : début des travaux 1420 sous Jean de Médicis. Elle sera terminée en 1436, moment de la prise de pouvoir de Cosme l'Ancien. C'est Brunelleschi qui est chargé de sa construction. Elle sera la plus grande coupole de l'Occident jusqu'à la construction de Saint-Pierre de Rome au XVIe siècle. La lanterne qui la surmonte (oeuvre de Verrochio) sera elle construite sous Laurent le Magnifique.
Voici la Place de la Seigneurie (huile sur toile du XVIIIe siècle), centre de la vie florentine par son importance politique avec à gauche, le Palazzo Vecchio (commencé dans les années 1300 et terminé au début du XVe siècle : il est le siège des autorités municipales) et à droite des maisons datant encore du Moyen-Age. Le Musée des Offices n'existe pas encore.
Vue de nuit du Palazzo Vecchio entouré de montagnes
Le Ponte Vecchio permettait au XVe siècle de passer du Palazzo Vecchio au Palais Pitti en empruntant le couloir construit par l'architecte Vazzari : le grand-duc et la grande duchesse passaient ainsi des appartements d'apparat du Pallazo Vecchio aux appartements privés du Palais Pitti.
C'est Jean de Médicis qui commence les travaux de restauration de ce qui était l'une des plus anciennes églises de Florence, l'église Saint-Laurent et son fils, Cosme l'Ancien, va beaucoup intervenir du point de vue financier (il s'agit d'un véritable mécénat) pour permettre à Brunelleschi d'achever son œuvre. Il s'agit de l'église paroissiale des Médicis.
Cosme l'Ancien s'était d'ailleurs fait construire à côté un Palais que voici par l'architecte Michelozzo di Bartolomeo. L'extérieur austère correspond à la volonté de Cosme l'Ancien de ne pas paraître dépenser trop d'argent pour des choses futiles. L'intérieur est plus radieux que l'extérieur.
Les Médicis ont aussi fait construire aux alentours de Florence des grandes villas à l'antique dès le début du XVe siècle. C'est Jean de Médicis qui va le premier organiser aux portes de Florence une villa moderne à Carregi. Ils font ainsi renaître les grandes villas d'Otium, celles où les riches romains se retiraient à l'abri des affaires politiques aux alentours de Rome pour s'adonner à l'étude, le discours, l'amitié, tout ce qui fait d'un homme un intellectuel.
Villa de Poggio a Caiano à l'ouest de Florence - gravure du XVIIe siècle
Carte des villas médicéennes autour de Florence
La Villa Médicéenne de Carregi avec ses loggias ouvertes : c'est là que Laurent le Magnifique se retirera et décèdera en 1492.
La Villa Poggio a Caiano possède une loggia qui fonctionne comme un temple antique (colonnes ioniques, frise et fronton portant les armes des Médicis). L'escalier en arrondi qui descend de l'étage noble et permet d'accéder au jardin date du XVIIIe siècle, l'escalier du XVe siècle était rectiligne.
On ne peut pas quitter Florence sans parler de peinture... Voici une vue du Musée des Offices construit par l'architecte de Cosme Ier (deuxième époque des Médicis), Giorgio Vasari.
Pêché originel par Masolino (élève de Masaccio) et Adam et Eve chassés de l'Eden par Masaccio - (1424-1425) - Chapelle Brancacci
A gauche, on n'est plus tout à fait au Moyen-Age mais pas encore à la Renaissance et à droite on est en plein dans la Renaissance : réalité des corps dans l'espace et évocation des sentiments (Eve cache sa nudité quand elle s'aperçoit qu'elle est nue et Adam qui ne peut retenir ses larmes).
Dans la même veine, le paiement du tribut par Masaccio (1425)
Un tableau célèbre où les personnages, à l'entrée de la ville de Capharnaüm, ont tous un visage différent et des attitudes qui relèvent véritablement de la peinture moderne.
Cellule de Cosme l'Ancien décoré par Fra Angelico au Couvent des dominicains de Saint-Marc : adoration des Mages au-dessus du Christ ressuscitant de son tombeau avec les marques de la Passion
La bataille de San Romano par Paolo Uccello (1440)
Paolo Uccello est un passionné de perspective.
Cortège des Rois Mages - Gozzoli (1460) - Chapelle privée des Médicis
Les spécialistes s'accordent à dire qu'ici le jeune Laurent le Magnifique est représenté en roi-mage sur son cheval et que Cosme l'Ancien, le commanditaire, fait partie des personnages représentés. La volonté dans ce tableau d'exprimer le désir que le jeune Laurent accède au rang de Roi...
Vierge à l'Enfant - Fra Filippo Lippi (1465)
Si Filippo Lippi est une peintre célèbre, il était aussi frère carmélite et il va vivre une passion folle avec une jeune moniale, Lucrèce. Ils vont s'enfuir et c'est grâce à l'intercession de Cosme l'Ancien qu'il va pouvoir, ainsi que Lucrèce, être relevé de ses vœux.
La naissance de Vénus - Sandro Botticelli (1484-1485)
Botticelli a été formé dans l'atelier de Filippo Lippi. C'est aussi un des peintres exceptionnels de cette deuxième partie du XVe siècle. Il a été très proche de Laurent le Magnifique. Ses peintures sont présentées au Musée des Offices où une nouvelle mise en scène les met en valeur.
La naissance de la Vierge - Domenico Ghirlandaio - 1485 (Basilique Santa Maria Novella)
A droite, Anne avec Marie dans les bras ; à gauche, l'épisode de la rencontre d'Anne avec Joachin à la porte Dorée (Joachin, chassé du temple par un prêtre du fait de l'infécondité de son couple, retrouve Anne dans la joie). La scène biblique est ici mélangée avec une scène d'aujourd'hui. Des reliefs à l'antique montrent qu'avec Ghirlandaio on n'est jamais très loin de l'antiquité.
Portrait d'un marchand de soie - Le Perrugin (1494)
On sent une certaine psychologie dans ce visage. L'ombre de la repousse de la barbe est absolument très très bien rendue. Le Perrugin est un grand spécialiste de la perspective atmosphérique aussi... On assiste là à la quintessence de la peinture de la Renaissance.
Les trésors de la sculpture
David - Michel-Ange (1501-1504)
Une allégorie de la ville de Florence : David regarde ici son adversaire juste avant de le frapper.
David de Donatello à gauche ; David de Verrocchio à gauche (Musée du Bargello)
Une trentaine d'années séparent la réalisation des deux œuvres. La vision de Donatello montre un David qui n'a pas l'air très fier de lui... alors que chez Verrocchio, David est habillé et semble tout à fait satisfait.
Une façon de dire que qu'en 1440 la révolution est en train de se faire dans le domaine de la sculpture alors que 30 ans après, la sculpture s'est vraiment affirmée.
L'annonciation de Donatello - 1435
Est-ce un relief ou est-ce de la ronde-bosse, est-ce de la statuaire ou non... ? L'ange et la Vierge sont-ils solidaires du fond ou bien détachés ?
Il apparaît sur cette autre photo qu'il s'agit encore d'un relief.
Porte du Paradis - Baptistère de Florence (1425-1452) - Lorenzo Ghiberti
Ce sont actuellement des copies à l'identique qui sont représentées, les originaux étant conservés dans le musée de la Cathédrale. Ce sont des portes de bronze avec des décors formés par des personnages qui se détachent du fond. Un des chefs-d'oeuvres absolu de la sculpture florentine.
Dix formes avec divers passages de l'ancien testament
La prise de Jéricho : l'arche d'alliance est promenée tout autour des murailles, les trompettes vont sonner et Jéricho va s'écrouler. On distingue 5 plans dans la composition sur 5 cm de matière : c'est l'art de la Renaissance à Florence.
Incrédulité de Saint-Thomas - Andrea del Verrocchio (1483) - Eglise d'Orsanmichele
C'est la fin de la vie de Laurent le Magnifique. La niche est habillée à l'antique et à l'intérieur Thomas approche ses doigts de la plaie du Christ pour vérifier qu'elle est bien réelle. Le Christ est bien à l'intérieur de la niche alors que Saint-Thomas a une jambe à l'extérieur, une manière de dire que Florence a fait éclater tous les cadres de la représentation : ne jamais se contenter de ce qui a été décidé mais aller au-delà et essayer de montrer la réalité.
Les dates à retenir :
Début du XIIIème siècle : la famille Médicis émigre du Mugello, région dans la campagne florentine, à Florence, afin de profiter de l'expansion économique que connaissait la ville.
1397 : Jean de Médicis, dit di Bicci, fonde la banque des Médicis, destinée à devenir la plus importante d'Europe. L’entrepreneur diversifie également ses activités en faisant l'acquisition de deux ateliers de laine à Florence.
1434 : tout en maintenant les apparences républicaines des institutions florentines, Cosme l'Ancien de Médicis assure son contrôle sur la politique de la ville. Pareillement à son activité politique, il poursuit le développement de la banque familiale, devenant ainsi l’un des hommes les plus influents d’Europe.
1469-1492 : gouvernement de Laurent le Magnifique. Mécène et souverain éclairé, il consolide le rôle de Florence comme foyer intellectuel et artistique de premier plan. Botticelli, Léonard de Vinci et Michel-Ange travaillent entre autres pour sa cour. Son règne coïncide cependant avec le déclin de la Banque des Médicis.
1494 : le gouvernement de Pierre II, fils aîné de Laurent, chute au moment de l’intervention du roi de France Charles VIII. Les florentins chassent la famille de Florence.
A lire pour aller plus loin :
Pierre Antonetti, Les Médicis, PUF, 1997.
Ivan Cloulas, Laurent le Magnifique, Fayard, 1982.
Christian Bec, Yvan Cloulas, L'Italie de la Renaissance. Un monde en mutation, 1378-1494, Fayard, 1990.
Alexandre Dumas, Claude Schopp, Les Médicis. Splendeur et secrets d'une dynastie sans pareille, Vuibert 2012.
Richard Turner, L’art de la Renaissance à Florence, Flammarion, 1998.
La culture en confinement : merci Storia Mundi !