Anne-Marie nous a fait remonter le temps pour cette après-midi de promenade dans le quartier du Luxembourg : elle nous conte aujourd'hui l'histoire - compliquée - de l'invention du mètre étalon, sur les traces de Delambre et Méchain, deux astronomes chargés de le définir.
Delambre, à gauche, Méchain, à droite
Avant la Révolution, il existait pléthore d'unités de poids et de mesures (250.000) ! Chaque pays, chaque région, et même parfois chaque village, avait les siennes... En 1790 l’Assemblée nationale - désireuse d'effacer toute trace du passé - décide d’établir un système de mesure unique.
Mais comment définir le mètre ?
Un choix arbitraire ne permettrait pas d’obtenir un consentement universel.
Le projet est confié à des savants de renom (Borda, Condorcet, Lagrange, Lavoisier et Monge) qui proposent de définir le mètre comme le dix millionième du quart du méridien terrestre. Le fait de se référer à la Terre, permet l'immuabilité et l’universalité de la mesure.
Il reste donc à déterminer la longueur exacte du méridien.
Le premier a en avoir fait une approche scientifique est le Grec Eratosthène en 250 avant J-C, qui arrive au résultat de 39 300 kilomètres ce qui est très proche de la mesure exacte et ceci avec des moyens très simples. En 1670, le français Jean-Félix Picard - dit l'Abbé Picard -, en utilisant la triangulation, arrive au résultat de 40 036 kilomètres.
L'Assemblée nationale quant à elle charge deux astronomes - en pleine terreur -, Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain, de mesurer ce méridien.
Ceux-ci n’effectueront les mesures que sur un arc suffisamment long de ce méridien. Par proportionnalité ils pourront alors calculer la longueur totale. Cet arc appelé méridienne s’étend sur près de 1100 kilomètres de Dunkerque à Barcelone.
Méchain part vers le Sud et Delambre vers le Nord.
Cette double expédition durera jusqu’en 1799 à cause des événements politiques mais aussi des difficultés quotidiennes. En effet, il faut monter le matériel en haut des clochers, franchir des montagnes, braver le froid puis les fortes chaleurs ou les pluies.
Il n'est évidemment pas question de déplacer des règles entre ces deux villes : outre que le travail aurait été fastidieux, la géographie ne l'aurait pas permis. La méthode consiste donc à commencer par mesurer une base d'environ onze kilomètres entre Melun et Lieusaint.
Delambre dispose à cette fin de quatre règles de platine (chacune de deux toises de long), ces règles "numérotées" étant portées par des pièces de bois peintes de couleurs différentes avec des trépieds que des vis permettent de caler.
La base est alors l'origine d'une opération de triangulation plane : à partir des extrémités de cette base, Delambre vise la ville de Malvoisine qui est à portée de vue. De la mesure des angles, il déduit la distance Lieusaint-Malvoisine et celle-ci constitue la base d'un nouveau triangle dont le sommet sera Montlhéry. Des triangles formeront ainsi une chaîne ininterrompue le long de la méridienne.
C'est tout simple en fait mais... il fallait y penser !
La méthode de la triangulation utilisée par Delambre et Méchain : en imaginant beaucoup d'autres triangles, il suffit à la fin de mesurer la longueur du point F (hypothétiquement Dunkerque) au point H (hypothétiquement Barcelone) et le tour est joué !
La mesure des angles était effectuée par les astronomes à l'aide du cercle répétiteur inventé par Borda et Lenoir dont le principe est de pouvoir répéter autant de fois que l'on veut la même mesure sans revenir à zéro. L'erreur diminue avec le nombre de visées qui sont parfois répétées plus d’une centaine de fois.
Le voyage de Méchain (ainsi que celui de Delambre) est semé d’incidents car la Révolution éclate le jour même de leur départ : ils ont été parfois emprisonnés et accusés d’être des espions, des royalistes ou des sorciers car on les voyait utiliser des instruments complexes...
Finalement Méchain arrive à Barcelone le 23 juillet où des émissaires du Roi d’Espagne l’accueillent chaleureusement et lui apportent son soutien. Cependant, le 21 janvier 1793, Louis XVI ayant été guillotiné, l’Espagne entre en guerre contre les révolutionnaires français. Une armée de catalans du sud envahit le Roussillon espérant reconstituer le royaume des Baléares antérieur au traité des Pyrénées. Méchain se retrouve bloqué à Barcelone : il se rend alors au Montjuic (un quartier de Barcelone) et y poursuit ses mesures. Il sera gravement accidenté et devra passer de longs mois de convalescence chez un médecin barcelonais. Après son rétablissement, il reprend ses mesures et constate horrifié qu’il y a un petit écart avec les premières mesures.
Il est extrêmement découragé mais en avril 1795 il réussit à embarquer pour Gênes et en juillet 1795 il accoste à Marseille, bien décidé à reprendre ses mesures suite à l’erreur constatée à Barcelone.
Au final, le mètre est trop court de 0.2 mm puisque le quart de méridien mesuré n'est pas de 10.000 kilomètres mais de 10.002 kilomètres...
De son côté Delambre, lui aussi reconnu par ses pairs, forme une équipe composée d'un artisan orfèvre et d'un cocher. En août 1792 les Autrichiens envahissent le Nord-Est de la France, les troupes révolutionnaires résistent comme elles peuvent. Delambre se cantonne à étudier des points de Paris. Le 21 septembre, la première République est proclamée et les déplacements sont difficiles. Finalement en avril 1793 Delambre obtient les laissez-passer nécessaires et peut se déplacer vers Dunkerque.
Cette même année Delambre apprend la suppression de l’Académie des sciences de laquelle il a été destitué avec cinq autres académiciens pour avoir soutenu Lavoisier qui, en tant que fermier général récoltant les impôts, fut menacé de la guillotine...
Ce dernier, ayant demandé un sursis à son exécution pour pouvoir terminer une expérience, se verra répondre par le Président du Tribunal révolutionnaire : "La république n'a pas besoin de savants, ni de chimistes ; le cours de la Justice ne peut être suspendu".
L'arrestation de Lavoisier (par Ludwig Van Langenmantel - 1876)
Cocorico !
Le mètre (institué comme unité de mesure de longueur depuis le 7 avril 1795) est une découverte française adoptée par pratiquement tous les pays du monde.
Pour permettre aux français de se familiariser avec cette nouvelle mesure, surtout réclamée par les commerçants, il sera décidé d'en distribuer partout dans le pays. A Paris, seize mètres étalons furent installés dans la ville entre février 1795 et décembre 1797.
Pour terminer cette visite, Anne-Marie nous emmène dans la rue de Vaugirard où au N°36, face au Musée du Luxembourg, se trouve l'un des deux derniers exemplaires de "mètre étalon".
Malheureusement, des travaux de ravalement ne nous permettront pas de le voir...
De nos jours, le mètre correspond à la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1.299.792.458 fractions de seconde.
Voici une vidéo extrêmement bien faite qui résume tout ceci. N'hésitez pas, à la fin, à cliquer sur le lien suivant pour en visionner la fin...
J'espère avoir à peu près retracé ce qu'Anne-Marie nous a conté... Il est vrai que cette fois-ci j'aurais pu prendre des notes puisque je n'ai pas fait de photos - le sujet ne s'y prêtant pas - mais le courage me manquait et puis... j'ai toujours le secours de mon ami internet !
Merci à Anne-Marie de nous avoir rendus un peu moins ignares. J'ai beaucoup appris en une après-midi et... quelques heures de recherches !