Lucie Pierre, notre conférencière bénévole à Générations 13, nous dit tout d'abord que l'amour est une construction sociale : Et bang, voici que tous mes rêves s'écroulent !
Mais restons sérieux : Lucie nous donne ensuite le plan de l'ensemble des conférences quelle va consacrer à ce sujet, extrêmement vaste, à savoir le couple dans la peinture.
A) Les représentations de l'amour au cours des siècles
1) Les représentations de l'amour au Moyen-Age : l'amour "courtois".
L’art médiéval est principalement consacré à la religion. À l’époque, on célébrait « l’amour courtois » en séduisant les dames avec des poésies, mais on n’aurait jamais osé dessiner l’amour cru et l’exposer au vu et au su de tous.
2) L'amour à la Renaissance : érotique
Les peintres libèrent enfin leurs créativités et les images de nus fusent.
3) L'amour baroque : fou et exalté
Le contenu émotionnel très apparent est l’un des caractéristiques de la peinture baroque. Et quelle émotion est plus forte que l’amour ?
4) L'amour à l'époque du Romantisme : passionnel
Le courant artistique du Romantisme met, évidemment, au centre de tout, l’amour !
5) L'amour à la période du Réalisme
Étant donné que ce courant vise à traiter la vision du monde de manière objective, les peintres essaient toujours de représenter les faits tels qu’ils sont.
6) L'amour dans le courant de l'impressionnisme avec Manet...
Lucie nous parle ensuite de la "classification" qui a été faite de l'amour.
B) Les différentes sortes d'amour
I) L'amour "Philia" : l'amour affectueux
L’amour « Philia » est l’attachement lié à un sentiment d’amitié, associé à des valeurs, des centres d’intérêts et des objectifs communs. Il prend appui sur des plaisirs partagés, des échanges, du jeu, de la solidarité et de la complicité. La relation est chaleureuse et affective, chacun ayant le souci de l’autre. Cependant, il est conditionnel car fondé sur des activités ou des vécus partagés.
II) L'amour "agapè" : désintéressé
L’amour « Agapé » est un amour fraternel, universel, altruiste, spirituel. Il se donne « gratuitement », de manière désintéressée, sans attendre de retour. Il est inconditionnel, accepte l’autre tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts. Il souhaite son bien-être sans profit personnel. Il a de la compassion pour l’autre et l’aime… même s’il n’est pas aimé de lui. C’est un amour affranchi de l'ego qui se situe au-delà de l’émotionnel.
III) L'amour qui prend : l'éros
L’amour « Éros » est fondé sur une relation sensuelle, charnelle, sexuelle, éventuellement amoureuse et passionnelle. Ce peut être l’ivresse d’un « coup de foudre » qui induit un fort désir de l’autre. Cela peut être délicieux et… ravageur.
IV) L'amour ludus : espiègle
L'amour Ludus renvoie à un amour charmeur et taquin, un amour qui s’accompagne de danses et de rires. C’est un amour enfantin et léger.
V) L'amour Mania : obsessionnel
L’amour Mania est le type d’amour qui entraîne un partenaire dans une sorte de folie et d’obsession. Cela se produit généralement lorsqu’il y a un déséquilibre entre l’Eros et l’amour Ludus.
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Il faut tout de suite savoir que ce que je retranscris ici est sans doute entaché d'erreurs par ci par là, mais... l'erreur est humaine n'est-ce pas !
Autre chose : les photos sont cliquables mais si parfois elles s'agrandissent, parfois elles rapetissent...
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Lucie va d'abord nous parler, images à l'appui, de l'amour dans l'iconographie religieuse et pour cela elle a choisi de nous parler d'Adam et Eve.
I - Le couple d'Adam et Eve
A noter que les deux jeunes gens, qui succombent à la tentation provenant du serpent démoniaque, devraient être représentés laids et pourtant, de façon générale, ils sont toujours beaux.
► La tentation d'Adam et Eve de Masolino dite "Le pêché originel" (1424-1425) - Chapelle Brancacci en l'église Santa Maria del Carmine de Florence
Adam et Eve sont ici au Paradis : ils sont représentés se regardant mais sont plutôt statiques. Le serpent, enroulé autour d'un figuier (l'arbre du péché), est représenté avec une tête de jeune femme et se tient à égale distance d'Adam et d'Eve, les rendant responsables, aussi bien l'un que l'autre, de l'acte qu'ils vont accomplir.
On notera aussi que, aussi incongru que cela puisse paraître, le peintre a peint les deux jeunes gens avec un nombril.
► Adam et Eve chassés de l'Eden - Masaccio (1424-1425) - Chapelle Brancacci de l'église Santa Maria del Carmine de Florence
Masaccio était l'élève de Masolino.
Cette fois-ci le peintre représente les deux jeunes gens alors qu'ils sont chassés du Paradis. Les visages sont très expressifs, Eve a les yeux fermés parce qu'elle pleure et Adam se cache le visage en signe de honte. Les corps sont en mouvement et le peintre représente même les ombres sur le sol.
► La tentation d'Adam et Eve - Hugo Van der Goes (vers 1490) - Musée d'Histoire de l'art de Vienne
Adam tend la main vers Eve, prêt à prendre le fruit défendu. Le serpent tentateur est dépeint comme une créature bipède ressemblant à une salamandre : en effet, d'après le mythe, le serpent pouvait marcher avant que la malédiction de Dieu ne l'oblige à ramper et à manger de la poussière.
Le motif de serpent à tête humaine apparaît dans l'art à la fin du XIIIe siècle et est abandonné à la Renaissance.
► Adam et Eve - Albrecht Dürer (1504) - Rijksmuseum à Amsterdam
Ce chef-d'œuvre absolu de la gravure fait assister à un moment fatidique : Adam et Eve, flirtant avec la tentation, vont dans un instant croquer le fruit défendu qui leur est présenté par le serpent. D'un geste placé au centre de la composition, Adam accepte l'offre d'Eve qui va conduire les hommes à la perdition, et pointe déjà du doigt la nudité bientôt honteuse de sa compagne.
► Le péché originel et l'expulsion du Paradis terrestre - Michel-Ange (1509-1510) - Plafond de la Chapelle Sixtine à Rome
Le crucifié est allégoriquement présent dans cette scène, puisque le bois de la croix sera taillé dans l'arbre dont Adam cueille le fruit, afin que toute faute soit remise. On remarquera comment Michel-Ange a associé le diable tentateur (représenté par un serpent à tête de femme) et l'Ange qui refoule hors du paradis nos premiers parents : comme si, dès l'origine, la chute et sa Rédemption, le Démon et l'Ange, étaient indissolublement liées.
► Adam et Eve de Jan Gossaert dit "Mabuse" (vers 1520) - Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Mabuse est un important peintre néerlandais actif au XVIe siècle. Il a voyagé en Italie et en Europe du Nord et l'influence de ces voyages est clairement évidente dans son travail.
Le peintre s'inspire ici de la gravure de Dürer sur le même sujet comme on peut le voir dans la pose d'Adam et Eve avec l'arbre entre eux. Néanmoins, Gossaert a introduit des changements importants tels que la direction dans laquelle les têtes sont tournées. De manière traditionnelle, Adam est situé à gauche et Eve à droite, tenant la pomme que le serpent lui a donnée.
► La tentation d'Adam et Eve par Le Tintoret (1550) - Galeries de l'Académie à Venise
Un piédestal est composé d'un mur de pierre à deux niveaux. Adam est assis sur la partie la plus basse, sur la gauche, et Ève, sur le muret légèrement plus élevé, à sa droite. Au centre entre les deux figures humaines, attaché au muret, se trouve l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal dont Dieu avait dit au premier-né de ne pas manger le fruit.
Vous remarquerez qu'Adam est souvent représenté toujours en plus foncé qu'Eve et que celle-ci se tient toujours à la droite d'Adam.
► Adam et Eve par Baldung Grien (1520) - Galerie des Offices à Florence
Il s'agit d'un diptyque exécuté par Hans Baldung, un élève de Dürer.
On y voit le cerf dans le tableau d'Adam et le lion dans celui d'Eve.
► Adam et Eve couchés dans le Jardin d'Eden - Hendrick Goltzius (1616)
Dans cette œuvre proche du Baroque, la position des deux amants est inhabituelle. Le peintre, en plaçant les personnages presque grandeur nature si près de l'avant du plan de l'image, incite le spectateur à s'engager émotionnellement dans ce récit biblique. On remarque en outre la présence du bouc et du chat, symboles de la lubricité.
► Adam et Eve chassés du Paradis - Giuseppe della Porta Salviati (1526-1550) - musée des Augustins à Toulouse
Le mouvement de la main d’Adam indique qu'il rejette la faute sur sa compagne, alors qu’Eve semble reprocher au serpent sa funeste situation.
On pense à Michel-Ange...
► Adam et Eve - Domenico Zampieri dit "Le Dominiquin" (1623-1624) - musée de Grenoble
Cette œuvre a appartenu au jardinier du roi Le Nôtre avant de rejoindre les collections royales en 1693.
Dans la partie gauche du tableau, Adam rejette la faute sur Eve, en haussant les épaules d'une façon de dire qu'il n'avait pas trop eu le choix. Et Eve de vite rejeter la responsabilité sur le serpent qui l'a tentée par des doux mots.
Le Dominiquin porte par ailleurs un grand intérêt à la nature qui devient ainsi une composante importante du tableau. Il faut noter de cette façon la netteté de la touche pour exprimer le feuillage, où chaque feuille est un élément indépendant de l'autre.
► Adam et Eve - Rembrandt (1638)
Rembrandt, dans cette eau-forte, abandonne ici les canons classiques de la beauté pour nous montrer un couple vieillissant avec des corps charpentés, profondément humains. Eve, par sa position au centre de la feuille, s'impose comme le personnage principal. Le dragon et l'arbre de la connaissance au premier plan, confondus dans une seule structure, enveloppent le couple qui apparaît à contre-jour, isolé du jardin d'Éden, en pleine clarté en arrière-plan et en contrebas.
► Adam et Eve - Jacob Jordaens (vers 1640) - musée national de Varsovie
Jacob Jordaens est un peintre de la peinture anversoise du XVIIe siècle.
Jordaens s'est intéressé au sujet d'Adam et Eve et en a fait une représentation illustrant la Chute de l'Homme. Le tableau, plus qu'une simple scène biblique, est un véritable récit de la déchéance de l'homme. Cette représentation inhabituelle de la Genèse serait-elle l'un des prémices de la conversion de Jordaens au calvinisme ?
On pourrait continuer comme cela longtemps tant les peintres de toutes époques ont été inspirés par le récit de la Bible. Mais il faut passer à autre chose...
II) La peinture profane du couple
► Portrait des époux Arnolfini par Jan Van Eyck (1434) - National Gallery de Londres
Le sujet est très moderne pour l'époque où il était coutume de représenter des scènes religieuses. Le peintre représente un jeune couple se tenant par la main, délicatement. La bougie allumée sur le lustre indique sans doute qu'un contrat de mariage va se faire. En effet, au Moyen-Age, les peintures et notamment les portraits, pouvaient servir de demandes en mariage ou encore de commémoration d’un mariage pour un couple. La femme n'est pas enceinte d'après Lucie (elle nous dit qu'il était à la mode à cette époque de porter un coussin sous sa robe). On note la tenture rouge du lit, le rouge est la couleur de la passion et c'est aussi la couleur complémentaire du vert de la robe de la jeune femme. Le petit chien serait un symbole de fidélité.
Le peintre s'est représenté par son reflet dans le miroir au fond de la pièce.
De mon côté, j'ai lu que le portrait de la jeune femme pourrait être celui d'une morte, ce qui expliquerait le costume sombre de l'homme et le port de son chapeau noir.
► Portrait d'une femme à sa fenêtre avec un homme - Fra Fillipo Lippi (vers 1440) - Metropolitan Museum of Art de New-York
La femme occupe presque tout le tableau. Elle est représentée de profil, richement vêtue à la française et parée de bijoux, avec une haute coiffe caractérisée par un double rabat de tissu écarlate tombant sur les épaules. Elle se tient devant une fenêtre, où un jeune homme devant elle semble l'observer mais en réalité l'homme et la femme ne se regardent pas (la morale est respectée). Derrière la femme, il y a une fenêtre ouverte d'où l'on aperçoit un paysage rural qui serait, d'après Lucie, le patrimoine que la femme apporte à son futur mari.
► Double portrait du duc d'Urbino par Piero della Francesca (1473-1475)
Alors là, Lucie nous dit tout !
Si l'homme a été représenté selon son profil gauche, c'est qu'il est borgne (il a été blessé) et s'il a un chapeau, celui-ci sert à cacher sa calvitie. Sa femme est morte en couches, il s'agit donc du portrait d'une morte.
L'arrière-plan résulte d'une grande étude de perspective et d'influences flamandes qui donne à la composition une ouverture par un paysage.
► Le prêteur et sa femme - Quentin Metsys (1514) - musée du Louvre à Paris
Le prêteur pèse l'argent sur un trébuchet (le trébuchet est à l'origine de l'expression "argent sonnant et trébuchant) comme Dieu pèse les âmes.
On est ici dans les prémices du capitalisme mais la femme est là pour rétablir le bon ordre des choses : elle lit un livre d'heures, en référence au monde chrétien. Il s'agirait ainsi d'une œuvre à caractère allégorique et moralisateur, sur le thème de la vanité des biens terrestres opposés aux valeurs chrétiennes intemporelles, et d'une dénonciation de l'avarice, comme péché capital.
► Portrait d'Henri IV de Saxe et de Catherine de Meklembourg - Lucas Cranach l'ancien (1514) - musée de Dresde
Il s'agit d'un tableau double d'un artiste de la Renaissance allemande, Lucas Cranach qui fut toute sa vie peintre des princes électeurs de Saxe.
Le peintre a fait le choix de ne pas peindre de décor mais de mettre l'accent sur les deux personnages portant des vêtements richement ornés, dont les motifs évoquent les armoiries de leurs familles respectives. Le duc, représenté avec l'un de ses chiens de chasse, plutôt menaçant, est en train de tirer son épée du fourreau ; son épouse a, à ses pieds, un chien de compagnie. Le panneau représentant la duchesse porte un cartouche avec les initiales du peintre, l'année où le tableau a été réalisé, et un serpent ailé, symbole de l'atelier de Lucas Cranach.
► Portrait du comte da Porto et de femme - Paolo Véronèse (1552)
Lucie nous fait remarquer la manière attendrissante qu'ils ont de tenir leurs enfants par l'épaule. La femme porte une fourrure de martre, symbole d'un accouchement. A noter ici encore, les deux couleurs complémentaires, le rouge et le vert.
► Portrait d'un couple marié : Massimo Cassotti et sa femme Faustina - Lorenzo Lotto (1523) - musée du Prado à Madrid
Un petit Cupidon pose un joug sur les épaules du couple (origine du mot "subjugué") en allusion aux obligations qu’ils contractent en se mariant. Le laurier qui sort du joug est un symbole de vertu et évoque la fidélité. Le collier de perles que porte Faustina est le symbole de son assujettissement à son mari. Le fait de la représenter plus bas que son époux illustre son infériorité sociale. La femme porte un camée représentant la femme de Marc-Aurèle qui était très prolifique.
L'homme s'apprête à passer un anneau au doigt de sa future épouse : cette coutume remonte à l'antiquité, époque à laquelle on pensait qu’une veine reliait l’annulaire gauche au cœur, siège des sentiments et de la passion amoureuse, la veine de l’amour.
► Double portrait d'un homme et de sa femme - Lorenzo Lotto (1523-1524) - musée de l'Ermitage à Saint-Petersbourg
Lotto inaugure le portrait psychologique, cherchant à pénétrer dans chaque homme qui pose devant lui ce qui lui est propre : son caractère.
Le couple est représenté dans un geste d'intimité affectueuse, la main de la femme se penchant sur l'épaule de son mari. Divers détails témoignent de leur statut social élevé, leurs vêtements bien à la mode de l'époque ainsi que l'exotique tapis Anatolien couvrant la table. La femme tient dans ses bras un petit chien, symbole typique de la fidélité conjugale et porte des bijoux et une coiffure "capigliara" composée de faux cheveux et de tissus de soie bouclés, enfermée dans un filet souvent accompagné de pierres précieuses et de perles.
Si vous n'avez pas compris que le rouge (du tapis) et le vert (du rideau) sont complémentaires...
► Jan Rikcjsen et son épouse Griet Jans dit "Le constructeur de bateau" - Rembrandt (1633) - Buckingham Palace
Rembrandt excelle à représenter avec beaucoup de réalisme la relation du couple dans une situation du quotidien intime. C’est une de ses grandes tendances de « brouiller les pistes », de décloisonner les genres en mélangeant ici portrait de couple et scène de genre. Le costume des personnages est très sobre (et sombre), l’œil n’est pas distrait par sa richesse et peut se concentrer sur la scène d’intimité du couple. Aucun cérémonial, aucune solennité ne raidit les modèles ici.
Il s'agit d'un portrait "parlant" : Griet entre dans le bureau de son mari et lui tend un billet (à la place d'un serviteur). Elle tient encore la poignée de porte comme pour dire à son mari qu'on voit le compas à la main en train de travailler "je ne te dérange pas longtemps"...
► Le ministre mennonite Cornelius Claesz Anslo et sa femme Heltje - Rembrandt (1641) - musée de Berlin
Autre portrait "parlant" : le geste de la main de l'homme (pasteur mennonite) montre la Bible ouverte devant lui où se trouve la parole qu'on ne peut pas peindre, la parole divine.
Lui parle, elle, elle écoute : distribution des rôles entre l'homme et la femme qui doit rester soumise à son mari.
Fin de la première conférence sur "Le couple dans l'art". Lucie nous a annoncé deux autres conférences sur le même thème.
Un grand merci à Lucie pour cet exposé tout à fait passionnant.