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Nous continuons notre périple bourguignon en nous arrêtant à La Ferté-Loupière pour y visiter l'église Saint-Germain. Ce petit village se trouve à une trentaine de kilomètres au nord-ouest d'Auxerre.
Vous allez me dire "On en a assez de tes églises." et vous n'aurez pas tout à fait tort. C'est vrai qu'entre Auxerre et Joigny, nous en avons visité de nombreuses ! Mais la France a un passé religieux si riche depuis des siècles que, même si je suis agnostique, je n'en admire pas moins les trésors qu'elle nous a laissés.
J'ai mis l'église Saint-Germain à notre programme car elle abrite l'une des rares Danses macabres existant en France. De plus, celle-ci (découverte en 1910), est en excellent état, ceci étant dû au badigeon qui l'a recouvert pendant plusieurs siècles.
La Danse macabre s'étend sur 25 mètres de long : ici, l'église côté chœur
et côté porche
Il s'agit de peintures réalisées sur enduit sec et non de fresques. La Danse macabre est associée à trois autres scènes : le Dit (ou Dict) des trois morts et des trois vifs, l'archange Saint-Michel terrassant le démon et la Vierge de l'Annonciation.
Le Dit des trois morts et des trois vifs
Cette représentation murale montre trois beaux jeunes chevaliers (un duc, un comte et un fils de roi) qui rencontrent, lors d'une partie de chasse, devant un cimetière, trois morts réduits à l'état de squelettes qui, dans une perspective morale, attirent leur attention en leur rappelant la brièveté de la vie et l'importance du salut de leur âme.
Ce récit apparaît dans la littérature dès la fin du XIIIe siècle.
Un cheval se cabre, un autre tourne déjà bride, tandis que l'un des faucons s'envole et qu'un autre se pose sur la croix. Un chien aboie. Le premier mort brandit un dard et s'appuie sur un pic de fossoyeur.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir : c'est vraiment superbe !
Voici maintenant l'archange Saint-Michel terrassant le démon
Et enfin la Vierge de l'Annonciation
La Danse macabre quant à elle est composée de 42 personnages, parmi lesquels figurent les puissants de ce monde (laïques et religieux), mais aussi les gens du commun, à la rencontre desquels viennent des squelettes pour leur rappeler leur fin inéluctable dans une danse pleine d'ironie. Ce genre de scène prend naissance dans des représentations théâtrales appelées mystères.
La Danse macabre ne manque d'humour ni surtout d'impertinence.
D'ailleurs, c'est sous la pression ecclésiastique qu'elle avait été recouverte d'un badigeon à La Ferté-Loupière. Et c'est fort heureux, car ce dernier a permis de la conserver. Cette Danse macabre est précieuse également pour les historiens, qui y voient un témoignage sur les coutumes vestimentaires à la fin du XVe et au début du XVIe siècle (on ignore la date exacte de cette oeuvre néanmoins d'inspiration médiévale).
L'acteur, assis, précède le défilé de couples mort/vif qu'il enregistre sur un parchemin devant trois squelettes musiciens (le joueur de cornemuse, le joueur d'orgue portatif et le harpiste). Le pape ouvre le cortège des vivants escortés par la mort, religieux et laïcs représentant toute la hiérarchie sociale. La mort est universelle et inévitable ; elle est imprévisible et rétablit l'égalité entre les hommes.
Puis viennent le roi, le légat, le duc et le patriarche.
Suivis par l'archevêque, le connétable, l'évêque, l'amoureux, et l'avocat.
L'amoureux tient dans sa main droite une tulipe noire alors qu'à cette époque la tulipe n'existait pas encore en France : c'est donc un mystère. L'hypothèse est que, dans cette peinture, tout n'ait pas été fait à la même époque et qu'il y ait eu des retouches au cours des siècles.
Le ménestrel, le curé, le laboureur, le cordelier, l'enfant, le clerc et l'ermite closent cette superbe peinture murale.
Regardez la Danse macabre en linéaire et en musique (de Saint-Saens évidemment)...
C'est LE fléau, la grande peste noire de 1347 qui touche toute l'Europe du Nord, qui est à l'origine des représentations de Danses macabres. Un historien, Froissard, nous apprend qu'un tiers de l'Europe mourut (25 millions de morts en deux ans). Les guerres (en particulier la guerre de Cent ans) n'apportent que misère, la disette s'installe à cause de l'insécurité des transports... La Danse macabre est née en France, semble-t-il, à la suite de toutes ces misères. Elle connaîtra rapidement un essor retentissant partout en Europe pendant plus de deux siècles.
Dans l'église, beaucoup de documentation (je m'en suis servie pour identifier tous les personnages) et en particulier :
l'Ocre et les techniques de peintures murales
depuis l'origine jusqu'à nos jours.
L'ocre est une roche ferrique composée d'argile pure (kaolinite) colorée par un pigment minéral ou hydroxyde de fer : l'hématite pour l'ocre rouge, la limonite pour la brune, et la goethite pour la jaune. Cette argile colorée est amalgamée aux grains de sable (quartz) et les ocres se trouvent à l'état naturel dans le sol, sous forme de sable ocreux.
En France, l'ocre se trouve en Bourgogne (en Puisaye), dans les monts du Vaucluse, dans le Colorado provençal ou à Roussillon.
La technique de la peinture murale
Durant tout le Moyen-Age, les peintres utiliseront les mêmes techniques que celles des artistes antiques (peintures romaines) mais ils adapteront et amélioreront en permanence les méthodes et les procédés, en fonction des connaissances acquises au fil des siècles.
Avant l'application de la peinture, on enduisait le mur d'une couche de mortier. Ceci permettait d'obtenir une surface suffisamment rugueuse, idéale pour faire adhérer les couches de peinture. Souvent, une couche de peinture de fond était appliquée : il pouvait s'agir soit d'un simple lait de chaux blanc, soit d'une couche de peinture de couleur ocre ou noire. Puis le peintre déterminait une série de cases sur le mur, une pour chaque "tableau" à représenter.
Enfin, la forme des figures et le contour des personnages étaient réalisés par le peintre en utilisant une peinture de couleur différente du fond, comme le noir ou le brun. Les surfaces ainsi délimités étaient ensuite coloriées. Finalement, les détails comme les ombres ou les jeux de lumière étaient ajoutés.
C'est par cette technique qu'ont été réalisées les peintures murales de la Danse macabre de l'église de La Ferté-Loupière et c'est pourquoi elles ont tant résisté au temps...
En 2009, les peintures de la Danse macabre ont été primées par l’Académie des Beaux-Arts qui a décerné le Grand Prix de la Fondation Prince Louis de Polignac à l’église de La Ferté-Loupière.
L'église, construite à la fin du XIe siècle a été agrandie au XVe siècle par la famille de Courtenay dans un style gothique flamboyant puis à nouveau au XVIIe siècle.
Clic clac, photo Kodak !
Après l'effort intellectuel, le réconfort de l'assiette au Grill Saint-Germain : pas besoin d'aller loin pour bien manger !
Une très belle découverte
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