Ce soir nous sommes allés écouter une conférence donnée par la SHA (Société d'Histoire et d'Archéologie) du XIIIe à la Mairie.
Son thème L'annexion de 1860 : de la "Petite banlieue" au XIIIe a attiré beaucoup plus de monde que l'association n'en attendait si bien que, pour pouvoir enfin laisser la parole à la conférencière, il a fallu patienter une bonne demi-heure le temps que chacun(e) trouve une chaise pour s'asseoir. J'étais sur le point de dire à Philippe "Tant pis, on abandonne !" quand, miraculeusement, des collègues de Générations 13 nous ont trouvé deux sièges.
Je crois bien qu'on était plus de 200 !
Il aurait été dommage de louper cette conférence qui nous a beaucoup plu à tous les deux, étant très attachés à notre arrondissement. Madeleine Leveau-Fernandez est spécialiste de l'histoire sociale des banlieues et ce soir elle a axé sa conférence sur la banlieue sud (Gentilly et Ivry) qui a contribué à former le XIIIe arrondissement.
Elle nous présente tout d'abord une carte des différentes enceintes que Paris a connues.
► Au tout début était Lutèce : les Parisii s'établissent sur l'île de la Cité et se protègent des invasions normandes en construisant une enceinte gallo-romaine (en rouge). Celle-ci se maintiendra jusqu'au XIe siècle.
► Passant rapidement sur l'enceinte des Xe et XIe siècles (en orange) qui n'a laissé aucun vestige, la conférencière nous parle ensuite de l'enceinte de Philippe Auguste, une muraille de 9 mètres de haut que le roi fit construire suite à l'agrandissement de la ville à la fin du XIIe siècle (en violet). Sa construction se place dans le contexte des luttes entre Philippe Auguste et la dynastie anglaise des Plantagenêt : afin de prémunir Paris d'éventuelles attaques provenant de Normandie alors possession du roi d'Angleterre, Philippe Auguste, avant de partir pour la troisième croisade, ordonne la construction d'une muraille de pierre afin de protéger la capitale en son absence.
L'enceinte de Philippe Auguste
► La forte croissance démographique tout au long du XIIIe siècle entrainant le développement des faubourgs incite Charles V et le prévôt des marchands, Etienne Marcel, à faire édifier une nouvelle enceinte en 1786 sur la rive droite (en vert sur le plan) tout en fortifiant celle de Philippe Auguste sur la rive gauche. Du fait de la largeur de l’emprise, les portes principales sont de véritables petits châteaux. A l’est, la Bastille protège la porte Saint-Antoine et, à l’intérieur de la ville, l’hôtel Saint-Pol.
Coupe de l'enceinte de Charles V
Depuis la fin du XVIe siècle la perception de l’impôt est confiée par le roi à une compagnie de financiers, la "Ferme générale". A Paris la Ferme générale perçoit les droits d’octroi sur les marchandises qui entrent dans la ville, alors que la campagne reste soumise à la taille. L’extension de la ville au cours du XVIIIe siècle induit une fraude considérable qui réduit (de l’ordre de la moitié semble-t-il) les revenus attendus par la Ferme et donc par le Trésor royal et par la ville.
► Cette nouvelle enceinte purement fiscale, de seulement trois mètres de haut, dite "Enceinte des Fermiers généraux" (en orange) sera, bien sûr, très impopulaire et Beaumarchais écrira, à son propos, une phrase restée célèbre :
"Le mur murant Paris rend Paris murmurant".
C'est Claude-Nicolas Ledoux, l'architecte, qui est chargé de la construction des barrières d'octroi.
Il n'existe plus que quatre de ces barrières : la barrière de Chartres (Rotonde du Parc Monceau), la barrière Saint-Martin (Rotonde de la Vilette), la barrière du Trône (avec ses deux bâtiments) et la barrière d'Enfer (avec ses deux bâtiments).
Une urbanisation spécifique va se développer à l’extérieur de l’enceinte (là où il n'y a pas d'octroi) qui attire de nombreux établissements de loisir, restaurants, guinguettes, cabarets, bals, les boulevards plantés servant à la promenade.
► En 1845, sous Louis Philippe, le président du Conseil, Thiers, fait construire un mur de 35 km de long autour de Paris (en rouge sur le plan) qui prendra le nom de "Enceinte de Thiers", incluant ce qu'on appelait alors la "Petite banlieue" (au sud, il s'agissait de Gentilly, Ivry et Montrouge). Elle comporte 94 bastions, 17 portes, 23 barrières et 8 passages de chemin de fer.
À l'extérieur du mur d'enceinte, de son fossé et de sa contrescarpe se trouvait une bande de terre de 250 mètres de large : le glacis. Désignée comme zone non oedificandi (zone non constructible), elle fut occupée par des bidonvilles dès la fin du XIXe siècle, avec l'abandon de sa fonction militaire. Cette bande était désignée comme "la Zone", les miséreux habitant là étant appelés "les zoniers", et péjorativement "les zonards", terme qui a subsisté et qui s'est généralisé.
Le fossé, le talus et les petits zonards
Madeleine Leveau-Fernandez nous parle ensuite de l'annexion de la "Petite banlieue" à Paris en 1860. En effet, depuis la création d'un octroi au niveau du mur des Fermiers Généraux, les parisiens les plus pauvres ont migré vers la "Petite banlieue", c'est à dire une partie des communes limitrophes à Paris (pour le sud, il s'agit des communes de Gentilly et d'Ivry).
Ce sont des communes très pauvres : la rue des cinq diamants, située alors sur la commune de Gentilly, ne possède pas ni égout ni éclairage...
La conférencière commence par nous donner l'origine du mot "banlieue" :
Au Moyen Âge, il existait un "droit de ban" qui mettait les paysans sous l'autorité du seigneur : tous ceux qui habitaient à une lieue autour du château (environ 4,7 kilomètres) payaient le seigneur pour pouvoir faire cuire leur pain dans son four ou moudre leur blé dans son moulin.
L'annexion des "Petites banlieues" à Paris ne s'est pas faite en un jour. Le préfet Rambuteau y était farouchement opposé car son coût était important : il fallait prévoir de créer des écoles, des églises et des fontaines là où il n'y en avait pas... Mais entre 1801 et 1851, le nombre des parisiens double et atteint le million et c'est sous le Baron Haussmann que le projet d'annexion se finalise.
Il y avait avant la Révolution 12 arrondissements à l'intérieur de l'Enceinte des Fermiers Généraux, chacun d'eux étant divisé en quatre quartiers de taille très inégale. Ainsi, le XIIe arrondissement comprenait-il le quartier Saint-Jacques, le quartier des Jardins du Roi, le quartier de l'Observatoire et le quartier de Saint-Marcel. Il y avait 9 arrondissements sur la rive droite de la Seine et 4 arrondissements sur sa rive gauche.
Paris s'agrandissant jusqu'à l'Enceinte de Thiers..., il a fallu renuméroter les arrondissement et cela va poser un gros problème. En effet, le XIIIe arrondissement aurait ainsi dû se retrouver à l'ouest du côté des actuels quartiers d'Auteuil et de Passy. Or, le chiffre 13 porte malheur dit-on et à l'époque, pour dire qu'un couple vivait en concubinage, on disait : "Ils se sont mariés à la Mairie du XIIIe !", puisque le XIIIe arrondissement n'existait pas... Cela n'était pas possible à entendre par les habitants des beaux quartiers ! On changea ainsi la façon de numéroter les arrondissements en faisant un "escargot" partant du centre de Paris : ouf, l'honneur était sauf pour les habitants de l'ouest de Paris qui habitent désormais le XVIe !
Le bois de Vincennes et le bois de Boulogne seront annexés à Paris ultérieurement.
Le coût de l'annexion de la Petite banlieue à Paris ?
Aux 130 millions de francs prévus à l'origine, il faudra rajouter 222 millions de francs. Il faut en effet indemniser les communes qui ont vu leurs terrains amputés, y compris ceux de la zone, démolir les anciens octrois construits par Claude-Nicolas Ledoux ou les déplacer mais également construire des Mairies, des églises, des écoles...
La superficie de Paris passe alors de 3500 à 7800 hectares. Honoré Daumier saute sur l'occasion et publie dans Le Charivari un dessin fort drôle intitulé Dire que nous v'là Parisiens !...
Le nouvel arrondissement du XIIIe est donc maintenant constitué d'une partie de l'ancien XIIe (les quartiers Croulebarbe et Salpêtrière) auxquels s'ajoutent les quartiers de Maison Blanche (dans lequel se trouve notre immeuble situé en bas de la Butte aux Cailles) et de La Gare provenant de l'annexion d'une partie de Gentilly et d'Ivry. La gare, c'est un projet qui n'a jamais vu le jour (une gare à bateaux près du pont de Bercy) mais le nom du quartier est resté.
Vous me suivez ?
C'est ainsi que les tanneries en bord de Bièvre situées à Gentilly se retrouvent sur la commune de Paris tout comme l'industrie de la glace située dans les méandres de la rivière. Celle-ci déborde régulièrement en hiver et gèle : découpée en pains, la glace est entreposée dans des puits maçonnés de 5 à 12 mètres de profondeur. On la conserve entre des couches de paille pour la faire durer. Ainsi, toute l’année, ces “glacières” fournissent de la fraîcheur aux Parisiens. Vendue par des crieurs, elle sert à la confection de glaces et sorbets ou à rafraîchir les boissons de la haute société.
Ce lieu était aussi un lieu très prisé des jeunes gens qui venaient y patiner sur ce qu'on appelait les "Etangs de la Glacière" (entre 1830 et 1870).
La conférencière nous parle ensuite de l'évolution de la population des banlieues après l'annexion de 1860 et de son impact sur l'activité économique.
A Ivry, si la population a chuté en 1860 après l'annexion à Paris de 13.000 habitants à 7.000 habitants, la population de la ville s'est petit à petit reconstituée et, en 2017, elle atteignait les 60.000 habitants.
Il n'en est pas de même pour Gentilly dont la population est passée de 20.000 habitants en 1859 à 9.000 habitants après l'annexion. Suite à la création de nouvelles banlieues comme le Kremlin-Bicêtre et au percement de l'autoroute du Sud, sa population n'a jamais pu tellement se reconstituer : elle n'était en 2017 que de 18.000 habitants.
Dans ces banlieues, l'activité économique a souffert du déplacement de l'octroi car il n'y a pas eu de dédommagements.
Tel est le cas des guinguettes comme celle du Cabaret de la mère Marie à la barrière des Deux Moulins à Ivry, où une population de petites gens, de tanneurs, de blanchisseuses, de cotonnières et de chiffonniers venaient se divertir le dimanche ou le lundi en sirotant un petit vin aigrelet. Les blanchisseries installées le long de la Bièvre et qui polluent celle-ci finissent aussi par disparaître (la Bièvre sera ensuite recouverte) ainsi que le marché aux porcs du quartier de Maison Blanche. Sans parler des entreprises du bâtiment...
Les transformations du XIIIe arrondissement
La gare d'Orléans devient parisienne, l'Hôpital de la Salpêtrière aussi, tout comme le Château de la Reine Blanche, idem pour l'Hôpital de Lourcine (actuel Hôpital Broca) et pour l'un des cinq abattoirs dits de Villejuif (il s'agissait surtout d'équidés car non loin de là se trouvait le marché aux chevaux). L'église Sainte-Anne de la Butte aux Cailles est inaugurée en 1894. Les travaux de construction de la nouvelle Mairie commencent en 1873. Il y a aussi un marché couvert qui verra le jour en 1867 (il sera démoli en 1880...). A cela s'ajoute bien sûr un nouveau Commissariat, des squares, des écoles...
A qui a profité l'annexion de 1860 ?
Essentiellement à la Capitale. Vincennes et Boulogne ont été spoliées de leurs bois, les prix vont flamber là où étaient installés des familles à revenus modestes (elles devront partir dans la nouvelle banlieue). Par contre, pour voir le côté positif, les transports se sont beaucoup développés et le caractère "villageois" de certains quartiers a été conservé (comme à Belleville, Montmartre ou encore sur la Butte aux Cailles).
Nous avons beaucoup apprécié cette conférence et sommes ravis d'avoir ré adhéré à la SHA (Société d'Histoire et d'Archéologie) du XIIIe arrondissement avec laquelle nous allons bientôt faire une visite guidée...