Hier soir, nous étions à nouveau "A La Folie Théâtre", petit théâtre parisien situé rue de la Folie-Méricourt dans le Quartier Saint-Ambroise. J'ai découvert ce petit théâtre il y a tout juste deux mois grâce à une invitation de la Mairie de Paris : nous y étions allés applaudir deux très bons acteurs dans Georges Dandin de Molière (pour relire le post, cliquer ICI).
Cette fois-ci, c'est gentiment invités par la chargée de communication du Théâtre, Jennifer Evans, (qui apparemment a apprécié mon post, ce qui m'a fait très plaisir...) que nous avons choisi de venir voir "Camille Claudel", pièce mise en scène par Christine Farré (qui joue également le rôle de Camille). Elle est accompagnée sur scène par Jean-Marc Bordja dans le rôle d'Eugène Blot - fondeur de la sculptrice - et par Nicolas Pignon dans le rôle d'Octave Mirbeau, le journaliste et critique d'art : tous deux étaient de grands admirateurs de Camille Claudel et des amis sincères qui l'ont toujours soutenue.
L'affiche du spectacle
Si j'étais allée au cinéma, j'aurais pu écrire que
Christine Farré crève l'écran !
Mais... je n'aurais pas senti cette proximité avec l'actrice qui n'est donnée qu'au théâtre, et tout particulièrement à celui-ci puisque la "Petite Folie" ne compte que 49 places disposées sur quatre gradins. Autant dire qu'on peut presque toucher les acteurs... et qu'ils nous touchent d'autant plus en retour.
Au premier plan, les coussins du premier gradin et juste derrière, la scène et le décor de la pièce
Quand la pièce commence, Camille Claudel est jeune et en pleine possession de ses moyens. C'est une jeune femme riante et enthousiaste, pleinement épanouie par l'exercice de son art : on le voit dans son attitude mais aussi grâce à la correspondance qu'elle échange avec Rodin et ses amis, critiques de l'époque.
Lettre d'Eugène Blot à Camille Claudel (3 septembre 1932) : Camille Claudel ne l'a jamais reçue...
« Un jour que Rodin me rendait visite, je l’ai vu soudain s’immobiliser devant ce portrait [L’Implorante], le contempler, caresser doucement le métal et pleurer. Oui, pleurer. Comme un enfant. Voilà quinze ans qu’il est mort. En réalité, il n’aura jamais aimé que vous, Camille, je puis le dire aujourd’hui. […] Oh ! je sais bien, Camille, qu’il vous a abandonnée, je ne cherche pas à le justifier. Vous avez trop souffert par lui. Mais je ne retire rien de ce que je viens d’écrire.
LE TEMPS REMETTRA TOUT EN PLACE. »
Jean-Marc Bordja et Nicolas Pignon sont très présents dans cette partie de la pièce, lisant avec talent les courriers adressés par ses amis à Camille puis, progressivement leur rôle s'efface et ils deviennent eux-mêmes spectateurs de la déchéance de l'artiste.
Nicolas Pignon à gauche et Jean-Marc Bordja à droite
Commence en effet alors la lente agonie de Camille dont ses amis reconnaissent le génie créateur mais qui se heurte à un art qui coûte cher en matériau et à des commandes souvent payées avec retard, ce qui va l'entraîner, sa séparation d'avec le Maître aidant, dans une descente aux enfers et la conduire à l'enfermement en asile psychiatrique (elle restera pendant 30 ans à Montdevergues, près d'Avignon, jusqu'à sa mort en 1943...).
Christine Farré habite intensément le rôle jusqu'à parfois ressembler aux sculptures de Camille.
Ainsi prend-elle avec beaucoup de force la pose pour imiter cette tête de vieil aveugle chantant dont l'esquisse est affichée sur scène. En effet, on apprend que Camille Claudel créait souvent à partir de son vécu : ainsi avait-elle aperçu depuis sa fenêtre un groupe d'enfants venus écouter un vieil aveugle jouant du violon...
La scène finale est particulièrement poignante quand l'actrice n'hésite pas à s'enlaidir en s'enduisant de glaise et en se vêtant de lambeaux pour incarner la folie de Camille, telle "Clotho", l'une des trois Parques que celle-ci a sculptées en 1893 pour incarner la vieillesse.
L'actrice (qui incarne ici la folie de Camille) devient la sculpture...
Nous avons été très sensibles au talent de Christine Farré. Elle et ses deux compagnons de scène ont été très applaudis même si... nous n'étions qu'une bonne dizaine de spectateurs à avoir le privilège d'assister à ce spectacle : et pourtant, qui dit petit théâtre dit parfois grande interprétation...
Courez-y vite : la pièce, jouée depuis le 5 septembre se termine le 29 novembre !
Inutile de vous dire que nous avons aimé la pièce "A La Folie" !