Pour continuer l'hommage à Denis Diderot dont elle célèbre cette année le tricentenaire de la naissance, l'Université du même nom offrait hier à ses afficionados la possibilité de visionner le film "Suzanne Simonin, la religieuse" qui avait été interdit lors de sa sortie en 1966 du fait du caractère subversif du scénario de Jacques Rivette.
Les couvents du XVIIIème siècle y sont en effet dépeints au travers de la vie de l'une de ses soeurs, Soeur Suzanne, contrainte par ses parents (comme toutes les jeunes filles nées dans l'illégitimité) d'entrer en religion alors qu'elle n'en n'a pas vocation et, croyez-moi, on en voit de toutes les couleurs : de la Mère Supérieure tortionnaire, épouvantée par cette soeur qu'elle croit possédée par Satan, à la Mère Supérieure attirée par l'homosexualité (Jacques Rivette l'a vêtue d'une tenue on ne peut plus affriolante pour une religieuse...) en passant par le curé que l'envie de se défroquer démange furieusement !
Une explication à cette interdiction : la proximité des élections qui conduit le gouvernement du Général de Gaulle à interdire, contre l'avis de la commission de contrôle chargée de délivrer le visa d'exploitation du film avant sa sortie en salle, un film qu'une partie de ses électeurs, la population catholique, conteste sans en avoir jamais vu le moindre extrait car "l'Affaire de la religieuse de Rivette" est d'abord une histoire sans images...
Les milieus du cinéma se mobilisent rapidement avec à leur tête Jean-Luc Godard, ce jeune cinéaste de la Nouvelle Vague qui écrit à André Malraux, ministre de la Kultur..., une lettre dans laquelle il parle de la censure comme de la "Gestapo de l'esprit".
A sa sortie au cours de l'été 1967, passées les élections..., le film est interdit aux moins de 18 ans et, de nos jours il n'y a plus aucune limitation d'âge. On se dit en effet que les jeunes de notre époque sont, à cet âge, bien plus éclairés sur la sexualité que ce que le peu d'images du film laisse à voir : tout est dans la suggestion en effet et le film est vraiment très beau et pur. Une musique en voix off évoque la vie à l'extérieur des murs de cette prison dans laquelle la jeune fille est destinée à vivre jusqu'à la fin de ses jours.
Une nouvelle version de La religieuse de Diderot sort très bientôt sur les écrans. Il s'agit d'un film de Guillaume Nicloux avec Pauline Etienne dans le rôle de Soeur Suzanne, Louise Bourgoin dans celui de la Mère Supérieure du Couvent Sainte-Marie et Isabelle Huppert dans celui de la Mère Supérieure du Couvent de Saint-Eutrope.
En voici la bande-annonce.
Une anecdote personnelle : il s'agit du premier film que Philippe a passé en tant que projectionniste bénévole à Criel, le projectionniste en titre l'ayant réquisitionné pour porter les bobines du film qui, à l'époque, pesaient leur poids ! C'est donc ensemble que nous sommes allés à cette projection.
Vous vous demandez peut-être pourquoi j'ai intitulé mon article "Ave Maria... Deo Gratias" ? C'est tout simplement le mode de communication utilisé dans les couvents au XVIIIème siècle : la personne qui frappait à la porte de la cellule d'une soeur s'annonçait par un "Ave Maria" et la soeur répondait par un "Deo Gratias"...
Heureusement que je ne suis pas née, ni de père inconnu ni au XVIIIème siècle car je pense que j'aurais fort mal vécu la chose... Pas vous ?